Guy Bourdin, the Portraits au Studio des Acacias par Mazarine
« Bourdin privilégiait la narration à la beauté. Pour chaque photo, il se racontait une histoire et voulait que celui qui regarde en imagine une également. » Shelly Verthime
Jamais photographe de mode n’aura autant symbolisé la mode moderne. Créateur d’images de mode et de publicité, Guy Bourdin a révolutionné la photographie de mode pour mieux y imposer sa patte artistique. Reconnu de tous, il a marqué son époque et continue aujourd’hui d’influencer notre perception de la photographie de mode.
Repoussant les codes du genre avec un regard un brin théâtral et surréaliste, le célèbre photographe a signé des images audacieuses, souvent attrayantes mais empreintes d’une esthétique moderne unique, célébrant la femme dans ce qu’elle a de plus mystérieux et une certaine esthétique du désir.
Couleurs intenses, cadrages audacieux et mises en scène suggestives font ainsi partie de son vocabulaire. Son imagerie hyper-féminine et provocante ont complètement alimenté l’aura sulfureuse de la mode de l’époque, remplissant les pages du Vogue français ou définissant l’image d’Ungaro, Versace et même Chanel.
Devenus iconiques, ses clichés ont définitivement fait entrer la photographie de mode dans l’ère artistique. Car Guy Bourdin ne se contentait pas d’exécuter de simples photographies produit de silhouettes ou de maquillage. Son travail était beaucoup plus complexe.
L’artiste favorisait l’atmosphère, soignait sa narration souvent surréaliste pour créer des tableaux. Chaque cliché était une façon d’imposer un point de vue, ouvert à de multiples interprétations du fait d’un cadrage subtil, cadrage racontant une histoire tout en créant le mystère, un mystère nécessaire à l’émergence du rêve et de la réflexion.
Guy Bourdin a réalisé plusieurs de ses séries au Studio des Acacias, lieu mythique connu à l’époque pour avoir accueilli de grands noms de la scène photographique comme Irving Penn ou encore Richard Avedon.
Il n’est donc pas étonnant que le lieu, devenu espace de création sous l’impulsion de Paul-Emmanuel Reiffers, ait décidé de lui rendre hommage au mois d’avril avec l’exposition événement Guy Bourdin – The Portraits, une sélection inédite et exigeante d’oeuvres des années 1950 à 1980.
Sous la direction de l’historienne Shelly Verthime, l’exposition rassemble sur trois étages plus de 150 photographies parmi les plus personnelles de l’artiste. Car l’histoire de Guy Bourdin ne peut se raconter qu’en images.
De ses premiers clichés hésitants en noir et blanc, qu’on sent déjà largement influencés par le surréalisme, à ses photographies de mode emblématiques en passant par les films Super-8 issus de sa collection personnelle qu’il a lui-même tourné lors de ses shootings photo, cette exposition est l’occasion de prendre pleinement conscience du talent inégalé de l’artiste.
Le parcours débute avec un hommage aux clichés emblématiques qu’a réalisés le célèbre photographe. La sensualité qui se dégagent de certains de ces clichés choquait à l’époque alors qu’elle nous paraît bien naturelle aujourd’hui.
Ses photos de mode les plus connues, pour la plupart parues dans le Vogue français dans les années 70, reflètent sa passion pour la peinture et sont une brillante démonstration de son goût pour les mises en scène troublantes et les couleurs saturées. L’exercice de style sur la série Chapeau Chic – avec la photo brute au cote de la photo publiée – est un bel exemple de son art du cadrage.
Provocatrices, certaines sont l’expression assumée de la sensualité et du désir. Ici, un bâton de rouge à lèvres devient un palliatif symbolique quand une autre se cambre en effleurant ses pistils. Là, tel Narcisse tombant amoureux de son propre reflet, une femme repoudre le visage d’une autre dont le maquillage est identique au sien et approche ses lèvres de l’autre.
A l’étage, l’empreinte de Man Ray dans le travail de l’artiste se fait plus présente. Leur rencontre influença son goût pour le surréalisme, clé de sa signature. Les premiers portraits de Guy Bourdin ont posé les bases de son langage et de sa démarche surréalistes.
La partie intitulée Portrait de Paris reprend ainsi des photographies issues de son travail exposé en 1952 dans la Galerie 29, rue de Seine. Il y livrait sa vision de la capitale, à partir de portraits de passants ou de détails de la ville.
Et lorsqu’il crée Walking Legs la fameuse campagne pour le chausseur Charles Jourdan, il ne s’agit pas tant de chaussures que d’un récit qui raconte autre chose que ce qui est montré. Guy Bourdin décide de ne mettre en scène que des demi-jambes de mannequins parées d’escarpins.
Sur chaque tirage, les fausses jambes reviennent de manière récurrente dans des scènes de la vie courante, semblant nous exhorter à prendre conscience de l’objetisation grandissante du corps de la femme.
La suite de l’exposition rend hommage à l’ensemble du travail de Guy Bourdin, parcourant sa création de long en large. De cette sélection ressort un sens de la composition graphique hors normes, visible dans le cadrage, les lignes et les éléments qui structurent chaque image où rien n’est laissé au hasard.
Avec cette exposition, le visiteur est invité à une rencontre avec un photographe révolutionnaire, exprimant sa personnalité dans chaque portrait. Comme un voyage artistique sur plus de 30 ans de photographie, l’exposition dévoile l’essence même de l’art de Guy Bourdin.
Et montre l’homme de l’ombre derrière l’artiste talentueux. Celui qui en s’exprimant derrière un objectif n’imaginait pas établir les lettres de noblesse de la photographie de mode d’aujourd’hui.
Studio des Acacias
30 rue des Acacias, 75017 Paris.
Marie-Odile Radom
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