Le petit théâtre de la démesure de la Maison Hermès
« Pour les douze vitrines de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, renouvelées quatre fois par an, je n’ai aucune contrainte de présentation de produits, se félicite . Elles ne sont pas faites pour vendre mais pour faire rêver les passants… » Antoine Platteau
Elles nous happent et nous attirent. C’est presque mus par un irrésistible attrait que nous nous arrêtons un instant afin de contempler les vitrines des magasins. Chacune met en scène l’esprit et l’univers de la maison qu’elle met en avant. Et parfois la saison de Noël venue, place à la féerie et à la magie sans cesse renouvelée.
Les vitrines telles que nous les connaissons naissent véritablement au XIXe siècle, au cœur d’une ville en mutation devenant le lieu d’un spectacle ininterrompu. C’est particulièrement le cas à Paris entre 1880 et les années 1930. Happant le regard, la vitrine participe pleinement au théâtre de la rue.
Et aujourd’hui, parmi les vitrines les plus attirantes de la capitale, celles de la Maison Hermès sont une étape incontournable. Chaque saison, chacune d’elle devient un petit théâtre imaginaire mettant en scène des objets de la maison Hermès.
Bottes cavalières, malles en cuir, selles de cheval, couleurs, matières, tout concourt à créer une féerie d’une grande force expressive.
Artiste décorateur passé par le stylisme et le cinéma, Antoine Platteau signe depuis deux ans les vitrines Hermès de la rue du Faubourg Saint-Honoré à partir d’un thème défini par Pierre-Alexis Dumas le directeur artistique d’Hermès.
Passionné de formes, de matières, de textures et de couleurs, ce dessinateur compulsif utilise peu l’outil numérique et s’entoure d’artistes et d’artisans pour produire des œuvres aux noms oniriques, perpétuant ainsi une tradition Hermès.
Conçues comme des conversations, ces collaborations sont l’occasion de mettre en lumière un travail unique à la croisée de l’art et du savoir-faire, dans un savant dialogue entre les créations des artistes invités, les compétences exceptionnelles dans les métiers d’art et la réalisation par les artisans de la maison Hermès d’objets singuliers destinés aux seuls regards des passants, constituant au fil du temps une collection unique en son genre.
En œuvrant aujourd’hui au sein des vitrines du magasin Hermès, Antoine Platteau revendique plus que jamais sa passion pour le décor et la mise en scène. Et pour découvrir ses théâtres imaginaires, la ville de Poitiers accueille jusqu’au 18 septembre 2016 à la Chapelle Saint-Louis l’exposition hors les murs Le petit théâtre de la démesure, une incursion dans les vitrines d’Antoine Platteau organisée par le Miroir de Poitiers.
Conçue comme un album des petits théâtres que ce créateur sensible et inventif met en scène chaque saison, cette exposition inédite raconte ce qu’est l’art de la scénographie tout en donnant à contempler dans douze vitrines reconstituées des objets extraordinaires, dont la qualité d’exécution est la signature de cette maison française.
Ce petit théâtre de la démesure nous invite à l’indicible plaisir de la contemplation et à l’onirisme.
Pour sa première vitrine conçue au printemps 2014 pour Hermès, Antoine Platteau fait ainsi apparaître des objets irréels dans une belle clarté presque immaculée ente épure et fantasmagorie dans Les métamorphoses de la matière.
Toujours en 2014, Déjà l’automne était l’allégorie subtile d’une animalité qui surgit au cœur de la ville et qui rappelle les relations que la maison Hermès, dont le métier originel est harnacheur sellier, entretient avec la nature.
Dans une pénombre automnale de forêt profonde, des flèches plantées dans une grande cible évoquent une vie sauvage contrebalancée par de grandes cages vides et inquiétantes qui ravivent les peurs poétiques de l’automne. Et si l’on observe bien, on remarquera une tronçonneuse gainée de cuir et accompagnée de son jerrican d’essence.
Tout est artifice dans les vitrines du printemps 2015 pour une flânerie dans un improbable jardin public.
Sur fond de paravents aux motifs floraux à l’élégant graphisme stylisé peints par Philippe Caron, d’étranges silhouettes en métal ajouré composent un monde entièrement pensé et fabriqué dans Spring is just around the corner : nuages, meubles de jardin, mannequin, ou encore chien fidèle au repos, son os à proximité, l’ensemble baignant dans une atmosphère de couleurs et de légèreté qui évoque l’art des paravents japonais.
Dans ses Fêtes votives, pavois aux vents, Antoine Platteau a voulu traduire pour l’été 2015 un été comme on en connaît en France, lumineux, parsemé de champs moissonnés, mais aussi scandé de fêtes populaires où le temps se suspend. D’où l’exceptionnelle collaboration avec les artisans vanniers de Vilaines-les-Rochers, qui ont donné la couleur estivale et impressionniste de l’osier à ces vitrines en réalisant de véritables ouvrages d’art.
Cet été fut suivi à l’automne 2015 de la série Patience et longueur du temps. Antoine Platteau profita des travaux de rénovation de la boutique pour installer dans les prestigieuses vitrines un chantier de peinture avec ses pinceaux et ses couteaux à enduit aux manches gainés de cuirs précieux.
Il alla même jusqu’à poser, une maquette du magasin sur un échafaudage, illustrant idéalement ce « petit théâtre de la démesure » qui définit son travail.
Pour les vitrines de l’hiver 2015 intitulées Les étoiles tournent trop vite, le décorateur a exploré les premiers temps de la science moderne, où l’électricité était encore magique et les expérimentations souvent fantasques. Il a créé un environnement cosmique, entre scientisme et spiritisme, où les objets semblent dotés d’une âme et prendre vie.
Avec On air, Antoine Platteau explore avec humour la nature au galop, thème de l’année 2016 . Cette nature s’anime à l’intérieur de télévisions, à la fois mausolées et niches pour chien, où défilent des petits films signés Antoine Carbone, conçus comme des limericks, poèmes humoristiques en anglais de cinq vers rimés, le tout dans une ambiance très burtonienne.
Au travers de ce fascinant petit théâtre de la démesure où chaque vitrine apparaît comme une scène vibrante, le Miroir de la Ville de Poitiers a souhaité explorer la notion de vitrine en tant qu’espace de création contemporaine, au delà de la simple mise en avant d’objets marchandises.
Et dans une atmosphère presque solennelle entre onirisme et poésie, chacune de ses œuvres met en lumière un savoir-faire d’exception qui mérite bien une exposition.
Le petit théâtre de la démesure
Exposition des vitrines d’Antoine Platteau pour la maison Hermès Chapelle Saint-Louis du collège Henri IV du 19 juin au 18 septembre 2016
Entrée libre
Horaires d’ouverture : 19 juin – 31 août : ouvert tous les jours de 14h à 18h nocturne le samedi jusqu’à 22h 1er septembre – 18 septembre : du lundi au vendredi de 11h à 18h ; samedi et dimanche de 14h à 18h
Marie-Odile Radom
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