Chanel restaure le Lion de Saint-Marc
«Un jour, au Lido, je voyais une vieille américaine respectable assise sous un parasol ; toutes les jeunes Américaines qui se préparaient à entrer au bain, lui confiaient leurs bijoux; finalement, elle avait l’air d’une de nos Saintes Vierges auvergnates, cloutées de cabochons ; le trésor de Saint Marc pâlissait à côté d’elle.» Gabrielle Chanel
On dit souvent que des plus belles rencontres naissent les plus belles histoires. Alors en ce jour de Saint-Valentin où l’amour est célébré partout il a pu trouver refuge, nous souhaitions vous parler d’amour à travers la formidable rencontre de Gabrielle Chanel avec la Ville symbole des amoureux et l’incroyable projet de restauration d’un des emblèmes de la Cité des Doges.
Depuis des siècles, il règne sur la façade de la Basilique Saint Marc, juste au-dessus des chevaux byzantins. L’allure conquérante et les ailes déployées, le Lion de Saint Marc est visible de toute part sur la place et donne sa force à la cité dont il est emblème.
Juste au-dessus de lui, le regard devine l’amorce des toits de l’église et le ciel baignant l’onirique ville de Venise. Majestueux, le lion incarne la gloire et le courage de Venise. Il est omniprésent dans la Sérénissime : sur les frontons et les portes des palais, les mosaïques et les statues de pierre…
Le Lion de la Place Saint-Marc, figure tutélaire posée sur une colonne de granit, domine la ville, auréolé par la lumière du soleil. Les ambassadeurs et les rois s’inclinaient devant celui qui surmontait le fronton de l’entrée du palais des Doges, se présentant devant une mosaïque étoilée.
Les artistes les plus célèbres, tel Carpaccio, l’ont représenté sur leurs toiles. Symbole de l’évangéliste Saint Marc, le saint patron de la ville, le lion incarne aussi la résurrection, si l’on en croit la légende qui veut que son souffle ait rendu la vie à ses trois lionceaux. Et symbolise l’emblématique résilience de Mademoiselle Chanel.
Deux jours avant les fêtes de Noël en 1919. Boy Capel, le grand amour de Gabrielle Chanel, se tue au volant de sa voiture. Dévastée, Coco se perd alors dans le travail pour oublier la perte de celui qui lui avait offert les clés de son indépendance, en lui avançant les fonds nécessaires à l’ouverture de sa première boutique au 21, rue Cambon.
Août 1920, Misia et son mari José Maria Sert persuadent Gabrielle, toujours endeuillée, de les suivre à Venise. Ce voyage à la découverte de la Cité des Doges fut salvateur et initiatique. Flamboyante et mystérieuse, la Sérénissime aux visages multiples réussit à séduire Gabrielle Chanel.
D’abord méfiante, la couturière tomba sous le charme de la ville au fur et à mesure des visites, des musées aux palais en passant par les ruelles. Venise l’envoûtante, cette ville hors du temps semblant flotter entre ciel et mer, lui offrit l’apaisement et lui redonna enfin le goût de vivre.
Sert lui fit découvrir l’autel de San Marco la Pala d’Oro, une pièce d’orfèvrerie de 3 mètres de long, entièrement sertie de pierres polies en cabochons. L’éblouissement qui l’avait saisie devant ce trésor unique au monde, la marqua à jamais.
La Venise du passé apprivoisée, elle découvrit alors la vie trépidante d’après-guerre de la Venise de 1920. Les Vénitiens et les premiers touristes s’adonnaient avec délices aux bains de mer et au farniente sur les plages du Lido. Puis venaient le thé à la terrasse des hôtels chics qui bordaient le rivage et les débuts ou les fins de soirée qui s’éternisaient autour d’un cocktail, sous les arcades du café Florian.
Gabrielle Chanel fit de Venise sa ville, y trouvant une force nouvelle. Fascinée par l’emblème historique de la ville, elle vit dans cette rencontre avec le lion beaucoup plus qu’une coïncidence, un signe du destin et une manière de renouer le fil de sa vie. Née le 19 août 1883, n’était-elle pas placée, comme la Cité des Doges, sous le signe du Lion ?
Le lion devint alors un symbole récurrent et familier pour Coco et se retrouve parmi les objets qui ornent son appartement de la rue Cambon. En bronze doré ou en marbre, posé sur une table, en bois sculpté sur le rebord d’une cheminée, il est là, conquérant, la patte posée sur le monde.
Mademoiselle Chanel l’utilisera comme un emblème dans ses créations, ornant les boutons de ses tailleurs ou le fermoir de ses sacs à mains. Chanel verra toujours dans cette rencontre vénitienne avec le lion beaucoup plus qu’une coïncidence, un signe du destin et une manière de renouer le fil de sa vie.
Mais avec le temps, les dorures de la sculpture semblaient faner et l’or a pâli. En souvenir de cette fabuleuse rencontre avec la Sérénissime, la maison Chanel s’est attelée à lui fait trouver sa splendeur d’antan, grâce à un vaste programme de restauration sous l’égide du Comité français pour la sauvegarde de Venise.
Deux équipes ont travaillé pendant plusieurs mois à la restauration du lion et à celle de la mosaïque.
La première équipe s’est attelée à la restauration du lion lui-même, nécessitant 1 300 heures de travail.
Après une étude précise sur son état d’oxydation et sur l’ampleur des travaux à réaliser, les restaurateurs ont déposé la statue du lion au mois de décembre 2013.
Chaque partie de la statue, composée de plusieurs éléments en feuilles de cuivre doré fixés sur une armature métallique, ont été nettoyées et sablées avant la pose d’un enduit spécial pour la dorure. Il a fallu appliquer trois couches successives d’or.
L’étape finale a consisté en la pose d’un enduit protecteur à base de cire, avant que le lion soit remonté sur la façade.
La seconde équipe s’est consacrée à la restauration de la mosaïque étoilée qui orne le mur de la basilique devant lequel le lion est posé. Une nouvelle fois, l’écho avec la Maison Chanel est troublant, puisque la Comète est tout aussi présente dans l’univers créatif de Gabrielle Chanel. A tout moment le lion d’or de Venise semble prêt à s’élancer dans un ciel constellé d’étoiles.
Les fragments de mosaïques dégradées par la pollution et le sel de la lagune ont été ôtés un par un. L’ensemble a ensuite été soigneusement lavé pour décoller toutes les particules qui l’endommageaient. L’enjeu de ce travail de restauration était de préserver le plus possible la mosaïque originale.
Aussi, de nombreuses parties abîmées ont été transférées dans un atelier spécialisé afin d’être restaurées, avant d’être reposées sur la structure initiale.
600 tesselles bleues et 200 tesselles dorées ont ainsi été remplacées.
Quatre artisans ont travaillé durant 32 semaines sur ce projet.
Le Lion de Saint Marc peut à nouveau régner sur la Sérénissime et rugir grâce au travail de ces deux équipes et au mécénat de Chanel qui a permis une restauration complète de ce chef d’œuvre de l’art vénitien. Ce projet lie à jamais la Maison Chanel à la ville de Venise. Pour que le Lion continue à rugir dans les collections de Haute-joaillerie de cette maison d’exception.
Crédit photo restauration : with the courtesy of Chanel
Marie-Odile Radom
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