Stakeout Diary par Yukichi Watabe
Préfecture d’Ibaraki au Japon, le 13 janvier 1958. Un nez, deux phalanges et un pénis sont découverts dans un bac à huile à proximité du lac Sembako. Le lendemain, la police trouve le corps d’un homme émasculé et défiguré de l’autre côté du lac.
Plusieurs doigts sont coupés et l’intégralité du corps est rongée à l’acide, dans le but évident de rendre impossible toute identification. Malgré ces mutilations, l’Identité judiciaire parvient pourtant à déterminer qu’il s’agit du corps de Sato Tadashi, un travailleur journalier.
L’affaire rapidement devenue l’affaire du corps coupé piétine. Deux enquêteurs sont dépêchés de Tokyo pour prêter main forte à la police locale : Tsutomu Mukaida, chef de la préfecture de police de Tokyo et Katsumi Midorikawa, inspecteur de police de la préfecture d’Ibaraki.
Photoreporter de talent, Yukichi Watabe se voit accorder l’autorisation exceptionnelle de documenter l’enquête menée par la police municipale de Tokyo relative à « l’affaire du corps coupé ». Ce sont précisément ces clichés qui ont été exposés pour la première fois en Europe par la galerie in)(between.
Cinquante images du photoreportage Stakeout Diary ont été présentées en exclusivité, dont 10 tirages totalement inédits. Invité à suivre l’inspecteur en chef dans son travail, Yukichi Watabe nous fait pénétrer dans les coulisses d’un fait-divers sordide et lève le voile sur un univers empreint de l’esthétique des films noirs.
Le sujet du reportage n’est ni le meurtrier ni la victime – le corps n’est d’ailleurs jamais montré – mais l’enquête elle-même dans une quête quasi cinématographique où Tsutomu Mukaida tient le rôle principal.
Revêtu d’un costume surmonté d’un grand trench à la Bogart, une casquette anglaise vissée sur le crâne, l’inspecteur traverse clope au bec les ruelles des quartiers chauds de Tokyo, essayant de se mettre dans la peau du tueur pour adopter sa façon de penser.
Le photographe japonais le suit dans ses pérégrinations quotidiennes et garde en mémoire les interrogatoires, prises de notes, coups de fil.
Mais plus qu’une simple fenêtre ouverte sur l’enquête menée par Tsutomu Mukaida et Katsumi Midorikawa, ces images à l’aspect narratif très fort ont une valeur documentaire extraordinaire, fortement marquée par l’esthétique des films noirs.
Car derrière cette quête quasi cinématographique se dessine un Japon contrasté, traversé par les mutations amorcées par la sortie de la Seconde Guerre mondiale, où la tradition peine encore à dialoguer avec la modernité.
En dépit de l’essor économique, les Japonais ont été vivement marqués par les blessures de la guerre. Beaucoup d’entre eux ont alors basculer dans la misère physique et morale. Yukichi Watabe nous donne ainsi accès à l’une des périodes qui compte le plus grand nombre de crimes sordides, de meurtres atroces et d’enlèvements d’enfants.
Présenté comme un story board, ce photoreportage laisse pourtant aux spectateurs leur propre grille de lecture. Le contexte est là mais on se laisse rapidement porter par les images, par le cadrage serré forcément narratif, par le contraste de l’inspecteur au trench et à casquette avec une scène japonaise plus traditionnelle, par le grain des photographies qui ajoute à l’émotion, par la modernité du regard de l’artiste.
Crédit photographie : © Yukichi Watabe with the courtesy of in)(between gallery
Galerie In Between
33 rue Chapon -75003 Paris
Marie-Odile Radom
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