Dans l’atelier de Julien Fournié
Chez Julien Fournié, il est toujours question d’une première fois. Est-ce pour mieux se souvenir d’une émotion première, celle qui reste gravée dans la mémoire, ou pour mieux se rappeler du point de départ d’une nouvelle aventure ? Sûrement un peu des deux.
En ce mois de janvier un peu doux, le couturier nous a pourtant offert la plus belle de toutes, celle ressentie avant de pénétrer dans son antre, là où l’expression de la création la plus pure et le meilleur du savoir-faire s’expriment au quotidien, dans son atelier de Haute-Couture.
En pleine semaine de la mode masculine et à quelques heures du premier défilé de Haute-Couture, nous pouvons enfin faire nos premiers pas dans ce lieu chargé d’énergie, de fatigue, de rires et de pleurs.
Émus et conscients de notre fortune, c’est le regard drapé de la plus brûlante des curiosités que nous pénétrons dans le saint des saints pour découvrir en avant-première la collection qui défilera dans quelques jours.
Nous croisons les derniers membres de l’équipe encore présents l’œil brillant et le corps engourdi qui regagnent enfin leur domicile, conscients d’avoir accompli leur devoir après des journées et des nuits de travail acharné.
Pour nous, cet instant est le meilleur, celui après la tempête où l’atelier encore plein des énergies des jours passés accepte de rendre les armes pour nous laisser découvrir ses merveilles, une fois l’effervescence des derniers ajustements passée.
Car la Haute-Couture est faite de ça, de ces moments d’intense activité où coûte que coûte il faut tenir pour qu’à la date et à l’heure prévues, le spectacle soit le plus parfait possible. Pendant ces jours, les gestes sont précis, la tension est palpable mais l’ardeur et l’abnégation avec lesquelles chaque tâche est effectuée suffit à rendre chaque instant magique.
Nous nous rendons enfin compte de l’honneur qui nous est fait de découvrir en exclusivité ces mousselines qui couvriront le corps de mannequins longilignes, ces bijoux inspirés des bijoux touaregs qui apparaîtront aux yeux de tous dans quelques jours, sublimant le cou de ces amazones le temps de quelques précieuses minutes.
Et nous savourons notre Première Initiation telle une émotion première, comme nous profiterons de chaque silhouette de son défilé.
C’est serein et heureux d’avoir pu terminé à temps sa collection que Julien commence à nous conter l’histoire de sa maison de couture et de sa collection. Nous plaisantons et refaisons le monde de la mode, à défaut de refaire le monde tout court.
Tout en savourant quelques bulles, nous l’écoutons parler de sa maison de couture qui peu à peu s’est agrandie pour devenir ce qu’elle est, imaginant l’effervescence qui devait habiter les lieux il y a encore quelques jours.
Fier, Julien nous parle de son prêt-à-porter, complément indispensable de la couture, qu’il conçoit comme le prolongement de son histoire. Et c’est là, accrochés à ses mots, que nous avons soudain la conscience de faire partie d’une famille, chaleureuse, à géométrie variable selon les saisons, mais bien une famille.
Sa collection prend vie sans qu’aucun des mannequins ne soit présent. Rien qu’avec ses mots, le créateur sait nous faire voyager vers de lointaines contrées, où le sable et le soleil sculptent un paysage féerique, ce lointain point de départ de sa nouvelle collection inspirée des codes de l’Orient.
Malgré la fatigue, sa voix s’enflamme dès qu’il nous parle de cette bourgeoise qu’il a imaginée, cette bourgeoise nomade qui refuse de s’embourgeoiser, cette bourgeoise libre qui s’émancipe des carcans du conformisme et revendique son point de vue.
Cet été, cette bourgeoise partira en voyage dans le désert pour chercher ses racines de femme et se retrouver. Pour se reconnecter avec ce monde si dur et renouer avec la terre. Et c’est dans un voyage onirique et iniatique que nous emmène Julien Fournié pour notre première fois dans son atelier.
Ces soies dégradées, ces coupes précises, ces compositions de couleurs, ces imprimés chatoyants hautement désirables et la délicatesse du travail prennent alors tout son sens là dans l’intimité de son atelier.
Nous ne sommes plus à Paris l’espace de quelques heures, nous voici désormais en plein désert, avec cette bourgeoise dont il esquisse avec douceur les contours, lui offrant un bel écrin de rêves au milieu des moucharabiehs.
La collection se révèle enfin empreinte d’ambre rouge, d’ivoire, d’henné et de sable, revêtant les couleurs d’Orient pour mieux rendre hommage à ces exploratrices de la liberté inspiratrices de cette Première Initiation, Alexandrine Tinné et Barbara Hutton qui emménagea à Tanger.
Seul un audacieux turquoise viendra déranger une palette aux nuances de désert. Un motif tissé dans la soie évoque les murs décrépis des villes en ruine, un imprimé sublime le scarabée de l’Egypte antique. Une calligraphie ancestrale se laisse entrevoir dans un jeu de matières.
Nous admirons les combinaisons délicates mettant en valeur la silhouette sensuelle de cette bourgeoise, nous lui envions cette légèreté et cette confiance avec laquelle nous l’imaginons avancer dans la vie, nous désirons ces chaussures avec laquelle elle arpentera ce monde de brutes.
De bourgeoise, la Femme Julien Fournié devenue prêtresse grâce à son voyage initiatique, se fait sultane des temps modernes.
Dès lors, la collection prend son envol, se faisant plus majestueuse avec ce burnous futuriste, ces robes en biais et ces tenues de princesses du désert ornées d’opulents sautoirs-harnais en corail, turquoise, cristal tourterelle, cabochons et fibules touaregs d’argent et d’ébène.
Avec cette présentation un peu particulière de la collection Haute-Couture Printemps-Eté 2015, nous vous avons offert à notre tour un moment précieux dans l’atelier de Julien Fournié. Ce moment partagé à ses côtés fut pur et intense, nous avons fait la connaissance de l’intimité d’une maison qui a su au fur et à mesure exister dans ce milieu créatif et se révéler.
Mais déjà, nous revoici à quelques semaines d’une nouvelle collection. Et dans l’antre de son atelier, la femme Julien Fournié revit et se réinvente…
Crédit PHOTO : Matthieu Munoz for Maryo’s Bazaar.
Marie-Odile Radom
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