Yves Saint-Laurent, le film de Jalil Lespert
Ce mercredi 08 janvier sort l’un des films les plus attendus de ce début d’année : Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, dont la rivalité avec un autre projet de film sur YSL alimente la chronique depuis deux ans. Tranche de vie entre 1956 et 1976 d’un artiste qui révolutionna la mode féminine, ce premier biopic est d’abord la biographie d’un homme.
Là où certains et certaines s’attendaient à un film de mode insistant sur le talent de l’artiste et sur la création pure, Jalil Lespert choisit de nous raconter l’histoire d’amour unique entre Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé en adaptant très librement la biographie de Laurence Benaïm.
Interprété d’une main de maître par Pierre Niney de la Comédie-Française, le biopic s’intéresse dans un premier temps aux jeunes années d’Yves Saint Laurent alors qu’il prend à tout juste 21 ans la direction artistique de la Maison Christian Dior, avant de fonder trois ans plus tard sa maison de couture.
On découvre donc l’ascension fulgurante d’un jeune homme doué issu de la bourgeoisie et son parcours sous toutes les coutures, de ses muses et ses réussites à ses obsessions et sa relation passionnée avec son partenaire de toujours et associé Pierre Bergé brillamment incarné par Guillaume Gallienne également de la Comédie-Française.
Les premières minutes posent en quelques scènes le jeune couturier en Algérie en proie à une timidité presque maladive, mais en admiration devant une mère aimante et coquette engoncée dans les conventions de l’époque comme dans un corset.
Puis très rapidement, son passage chez Christian Dior présente un autre homme, doué pour la mode mais en proie au doute constant. Jusqu’à sa rencontre avec son pygmalion qui fera éclater au grand jour le talent d’un génie, tout en essayant de le protéger de ses démons intérieurs et de conserver jusqu’au bout le contrôle.
Et c’est à ce moment-là que le film bascule dans l’intime. Les moments de pure créativité pourtant attendus sont occultés au profit de moments de grâce tels que ce fameux défilé des ballets russes. Le film prend alors le pli d’une histoire d’amour entre un bâtisseur et un créateur, un amour forcément passionné et passionnel mis au service de la création d’une des plus grandes maisons de couture et de prêt-à-porter.
Rien ne nous est alors épargné dans ce portrait que le réalisateur n’a pas voulu idyllique mais bien organique. On y voit un Yves Saint-Laurent maniaco-dépressif sombrer dans l’alcool et la drogue, rechercher la compagnie d’autres hommes et s’étourdir auprès de ses muses et bien plus encore.
Mais également un homme qui met toute sa douleur dans la création, créant de la lumière à partir du sombre, s’inspirant notamment de l’art comme pour la célèbre robe Mondrian. Un homme en perpétuelle compétition notamment avec Karl Lagerfeld.
Pierre Bergé y est sans doute plus épargné, montré sous un jour très protecteur. Il y a quelque chose de glacial dans ce fin stratège qui apparaît clinique parfois, sans état d’âme souvent, impitoyable sûrement et amoureux certainement.
D’une manière assez surprenante, les personnages féminins n’ont pas été très développés, à l’exception peut-être de celui de Victoire Douloutreau la première muse, merveilleusement interprétée par Charlotte Le Bon. Une révélation avec un jeu plein de fraîcheur quoique prudent pour incarner la femme qu’Yves n’épousera jamais, celle qui renvoie involontairement à la figure de la propre mère du créateur.
A contrario, Laura Smet qui incarne la très célèbre Loulou de la Falaise y est aussi inexistante que son personnage. Quant à Marie de Villepin, elle campe une Betty Catroux assez magnétique. Ce procédé est symptomatique du film et le dessert tant l’influence de ces femmes ont également façonné le mythe. Au-delà de la grandeur de l’homme, Yves Saint-Laurent se devait également d’aborder le mythe sous l’angle de la création et non pas simplement l’effleurer.
Là encore Jalil Lespert nous répond, il a choisi volontairement d’axer son film sur cette relation exclusive qui ne pouvait souffrir d’autres personnes. Plus qu’une biographie littérale et fidèle, le film est une sublimation de l’amour, de celui qui transcende et aliène à la fois. Comme un des personnages le dit si bien : « En amour, il n’y a pas un bourreau et une victime mais deux bourreaux et deux victimes. » Et c’est en cela que le film est réussi.
L’autre grande réussite de ce film à la mise en scène académique réside dans le choix de ses rôles masculins. Plus qu’une incarnation, Pierre Niney EST Yves Saint-Laurent et fournit une prestation stupéfiante au mimétisme saisissant. Son travail sur la voix et la gestuelle est presque obsessionnel.
L’acteur de 24 ans a également pris des cours de stylisme et de dessin, au point de pouvoir exécuter les illustrations montrées à l’écran. Il a appris à reconnaître les tissus et à maîtriser le vocabulaire très codifié des ateliers. De son côté, Guillaume Gallienne campe parfaitement cet homme de l’ombre sans qui rien n’aurait certainement pu arriver.
La frontière entre fiction et réalité dans le film est tenue mais bien existante. Jalil Lespert, qui a eu l’aval de Pierre Bergé pour son film, a eu accès aux archives de la Fondation Bergé-Saint Laurent. Il a utilisé les robes d’origine pour leur rendre grâce et s’est même immiscé dans les coulisses d’un défilé Saint-Laurent Paris pour mieux en restituer l’ambiance sans pour autant en livrer l’essence.
Et même si Yves Saint-Laurent n’est pas la plongée attendue dans l’univers de la création, ce biopic a le mérite de montrer que ce génie, celui qui a su magnifié les femmes et leur rendre le pouvoir, était avant tout un homme, un homme avec ses démons mais un homme de passions.
Film « Yves Saint Laurent », réalisé par Jalil Lespert avec Pierre Niney de la Comédie-Française, Guillaume Gallienne de la Comédie-Française, Charlotte Le Bon, Laura Smet et Marie de Villepin.
© WY Productions – SND – Cinéfrance 1888 – Hérodiade – Umedia
Si vous voulez retrouvez l’ambiance du film, l’hôtel The Westin Paris – Vendôme expose douze photos inédites des photographes Thibault Grabherr et Anouchka de Williencourt représentant les scènes les plus marquantes du film jusqu’au 31 janvier 2014. Cet hôtel qui a accueilli en son temps certains des défilés du couturier rend ainsi hommage à l’un de ses hôtes les plus célèbres.
THE WESTIN PARIS – VENDÔME 3 rue de Castiglione Paris 1er Informations et Réservations thewestinparis.fr ou 01.44.77.11.11Crédit photos : © Thibault Grabherr et Anouchka de Williencourt
Marie-Odile Radom
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