Visa pour l’Image 2013
«Vingt-cinq ans. On pourrait fêter ça. Mais quand on voit le monde tel qu’il est aujourd’hui, on va juste continuer à vous le montrer.» Jean-François Leroy
A l’heure où beaucoup de photojournalistes continuent inlassablement de sillonner le monde afin de nous offrir le témoignage sans concessions d’un monde soumis à la violence, la nécessité de rendre hommage à une profession en danger se fait de plus en plus ressentir.
Rendez-vous mondial du photojournalisme, le festival Visa pour l’Image donne le pouls d’une profession en pleine mutation – avec l’arrivée de la photographie numérique et le déclin des grandes agences de presse – et nous offre toute la diversité d’un métier souvent montré du doigt pour sa complaisance envers les images de guerre.
Festival nécessaire pour mieux appréhender la complexité d’un monde en perpétuelle évolution, Visa pour l’Image nous rappelle ce qui fait l’essence du photojournalisme : des photographies qui informent et interrogent ce monde, des photographies capables de nous bouleverser ou de nous faire sourire, d’éveiller les consciences et de provoquer le débat.
Pour la 25ème année consécutive, le Festival International de Photojournalisme a investi le cœur de la ville de Perpignan et a donné rendez-vous aux passionnés de photographie pour quinze jours dédié au grand reportage. Ainsi vingt-trois regards sur le monde abordant une grande diversité de sujets nous ont été proposées pendant cette quinzaine : guerre, environnement, religions, faits de société et grands fléaux de notre époque ont été mis en avant.
Même si le festival témoigne sur bon nombre de zones de conflit internationaux, pas moins de quatre reportages ont été consacrées au conflit actuel régnant en Syrie, où plus de 24 journalistes ont trouvé la mort depuis le début du conflit en 2011. Quatre regards différents mais conscients de la dangerosité de leur travail sur le terrain et de la violence qui règne là-bas pour nous ramener un peu de vérité au péril de leur vie.
Parmi ces quatre regards, celui de Laurent Van Der Stock a été mis à l’honneur en recevant le Visa d’Or News 2013. Le jury a récompensé l’enquête photographique, commanditée par Getty Images et Le Monde, et le travail du photographe français depuis décembre 2012 dans cette zone de guerre aux côtés des rebelles de l’Armée Syrienne Libre. De longs mois de reportage ont notamment réussi à mettre en lumière l’utilisation d’armes chimiques en Syrie.
Sebastiano Tomada a, quant à lui, été récompensé du prix Visa d’Or Humanitaire 2013 du Comité International de la Croix-Rouge pour ses clichés poignants de la situation à Alep. Le photographe témoigne de la vie quotidienne, de la situation des blessés, des difficultés d’accès aux soins et de la précarité des structures de secours exposées à la violence des combats.
Le prix Visa d’Or pour la presse quotidienne s’est lui aussi penché sur la situation syrienne en été attribué au photographe finlandais Niklas Meltio pour son travail en Syrie en 2012 et 2013 à Alep pour le Helsingin Sanomat.
Les clichés de Noriko Hayashi, lauréate du prix Visa d’Or Magazine, ne cessent de nous interpeller. Le reportage de la photographe japonaise sur la pratique du Ala Kachuu au Kirghizistan nous rappelle qu’encore beaucoup de femmes sont enlevées de par le monde pour être mariées de force. Les jeunes filles sont ramenées au domicile des kidnappeurs et acceptent pour la plupart l’union, en partie sous la pression de leurs aînés.
Complet, Visa pour l’Image ne fait pas qu’éduquer notre perception du monde, le festival propose aussi de se pencher sur des faits de société proche de nous. Ainsi le Prix de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik, en hommage au photojournaliste disparu à Holms en février 2012, a été attribué à Sara Lewkowicz pour son travail sur la violence domestique.
Le regard profond et sans compromis de la photojournaliste américaine en immersion chez un couple de l’Ohio nous éclaire sur le cercle infernal des violences conjugales et leurs répercussions au quotidien.
Le prix Visa d’Or France 24 – RFI du Webdocumentaire a été remis à Isabelle Fougère et Miquel Dewever-Plana pour Alma, une enfant de la violence. Ce webdocumentaire produit par Arte France, Upian et l’agence VU est le témoignage poignant d’une jeune femme ayant appartenu à l’un des gangs les plus violents du Guatemala.
L’Américaine Mary F. Calvert s’est vu remettre le prix Canon de la Femme Photojournaliste pour son reportage sur les violences sexuelles au sein de l’armée américaine. Tous les ans, 26 000 viols sont commis par les militaires contre les militaires, aussi bien hommes que femmes, mais seulement une victime sur sept ose dénoncer ces attaques.
C’est pour briser la loi du silence qui règne autour de ces violences que Mary a décidé de photographier les victimes. Ces crimes sont la plupart du temps couverts par une institution qui dispose de sa propre police et de son propre système de justice, fermement contrôlés.
Invité d’honneur de l’édition 2013, le monstre sacré de la photographie de guerre Don McCullin s’est vu remettre un Visa d’or d’Honneur créé pour l’occasion avec le soutien du Figaro Magazine. Une large rétrospective lui a été consacrée à l’Église des Dominicains retraçant plus de 50 ans de carrière à travers le monde entier.
Le Prix Pierre & Alexandra Boulat 2013, destiné à permettre à un photographe professionnel de réaliser un travail personnel dans un traitement journalistique mais ne trouvant pas de commande auprès des médias, a été attribué à l’unanimité à Arnau Bach, pour son remarquable travail en noir et blanc sur les banlieues parisiennes. Le photographe espagnol s’est intéressé particulièrement à la Seine Saint-Denis où il a tenté de comprendre la réalité de la vie en banlieue.
Le Prix ANI/Pixpalace a été remis au photographe Paolo Marchetti, pour Cité soleil, Haïti, un regard troublant sur l’extrême pauvreté dans la Cité Soleil de Port-au-Prince, quartier violent de la capitale haïtienne. En 2010, sept mois après le terrible tremblement de terre, il est dépêché sur place par des journaux italiens et accède à la Cité Soleil grâce à Luisien, 43 ans, ancien membre d’un gang. En Août 2011, lorsque Luisien meurt tué par les gangs, Paolo Marchetti revient alors à Port-au-Prince pour enquêter.
Depuis 9 ans, l’agence Getty Images soutient les photojournalistes grâce à des bourses. Cette année, plusieurs bourses ont été décernées aux talents de demain, ceux du photo-reportage social, à l’instar de Matt Eich pour son reportage Péché et salut dans le quartier de Baptist Town, Samuel James (Cosmos) pour son reportage Le pétrole au Nigéria, Marco Gualazzini (Luz Photo) pour son reportage consacré au M23 et intitulé Le Kivu, RDC, une région en état de siège, Thomas Van Hourtyve pour son reportage sur la Corée du Nord et Eugene Richards pour son reportage intitulé War is personal.
L’année écoulée, particulièrement marquée par une actualité tragique, a été encore une année difficile pour les photojournalistes de tout bord. De la Syrie au Congo, les conflits ont nourri le travail des journalistes mais pas uniquement. C’est en s’attachant à décrire le monde tel qu’il est dans toute sa complexité, ses violences endémiques amis également ses moments de joie à travers des photographies toujours aussi fortes que le Festival Visa pour l’Image, Perpignan trouve sa raison d’être. Celle d’un monde qui s’accepte tel qu’il est lorsqu’il est confronté à lui-même.
Crédit photo à la une : Jérôme Sessini / Magnum Photos
Marie-Odile Radom
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