Festival Circulation(s) 2013
Jusqu’au 31 Mars, le Parc de Bagatelle vibre de nouveau au rythme de la jeune photographie européenne. Pour la troisième année consécutive, le Festival Circulation(s) 2013 est l’occasion de découvrir plus d’une quarantaine de photographes et de prendre ainsi le pouls d’une scène qui ne cesse de grandir, se nourrissant du quotidien pour en extraire une substance forte.
Forte des quelque 25 000 visiteurs pour la seconde édition du festival en 2012, l’association Fetart récidive avec une nouvelle programmation de photographies riche et diversifiée.
À la trentaine d’artistes sélectionnés par le jury 2013, s’ajoutent ceux invités par le parrain du Festival, François Cheval, directeur du musée Nicéphore Niepce, par l’École supérieure des arts Saint-Luc à Liège en Belgique et la galerie autrichienne Anzenberger, sans oublier les projets spéciaux accueillis sous forme d’expositions, de projections et d’installations.
Au total 43 artistes d’une quinzaine de pays offrent un panorama de la jeune création photographique européenne avec une grande diversité de propos et de techniques mais toujours avec talent.
Force est de constater qu’une nouvelle fois, le choix des artistes est judicieux, nous renvoyant une vision du monde beaucoup plus sombre que les années précédentes comme un écho à la situation ambiante.
Émergeant des différents discours, le rapport à la notion de regard attaché à la photographie revient souvent tel un leitmotiv.
A travers ces différents regards, c’est d’abord un regard sans concession sur notre société qui se dessine.
Dès l’entrée du festival, nous sommes accueillis par les photographies de Dominique Secher qui avec sa série Bokassa, la chute d’un tyran immortalise le château de Hardricourt en France, dernier lieu d’exil de Bokassa.
Le temps semble s’être figé dans cette série à l’atmosphère veloutée où chaque instant est recouvert de vestiges du temps où une présence habitait les lieux.
Laissé soudainement à l’abandon, tombé en désuétude, le château est resté seul témoin du fastueux de ce président africain, qui s’était fait sacrer empereur 173 ans après Napoléon.
Et en regardant ces clichés, on prend conscience de ce moment fugace de la fuite, de cette fin d’une époque fastueuse qui ne laisse derrière elle que chaos et désordre, celle de la « Françafrique ».
De la France à l’Afrique, il n’y a qu’un pas, largement franchi par Patrick Willocq. Le photographe français nous emmène en République Démocratique du Congo avec un témoignage sur le quotidien de villages Bantous et Batwas.
L’artiste met en scène les villageois devant leur case et ainsi, le décor apparait comme théâtral. A travers ce reportage, le photographe français veut prouver que la paix règne dans l’Ouest du pays contrairement aux idées reçues et à la réalité du Congo de l’Est sur laquelle les médias occidentaux se focalisent et qui stigmatise l’ensemble du pays.
Choisie pour illustrer le carton d’invitation, l’une des photos de la série « The Afronauts » de Cristina de Middel donne le ton d’un festival bien ancré dans son époque mais s’inscrivant dans une continuité, dans l’histoire.
Base documentaire d’un rêve impossible qui aura finalement vécu uniquement à travers les images de la photographe, cette série narre l’aventure du programme spatial qui devait permettre à des astronautes africains de poser les pieds sur la lune.
Malheureusement, l’aide financière n’est jamais venue et le programme a été abandonné.
Ne reste de cette conquête spatiale que ces scènes surréalistes et étonnantes de l’Histoire Africaine, de cet hommage à un rêve impossible capturé à travers l’objectif de la photographe espagnole presque 30 ans après l’indépendance de la Zambie, point de départ de ce rêve.
Dans un style plus proche du photojournalisme classique, le bulgare Vladimir Vasilev nous parle d’un quotidien dur entre violence et résignation dans sa série Animals : « Entre la terre et le ciel, il existe toujours une antinomie et une animosité qui sont universelles et apparaissent malgré tout. Le désir humain de s’opposer et de chercher une place « juste » entre la terre et le ciel a certainement fait naître le cynisme, l’agressivité, l’impudence. »
Son regard sans concession pose les bases d’une réflexion sur l’humain et l’animalité et met en lumière la question de l’influence de l’être humain sur la planète.
Les photographies en noir et blanc du lauréat du prix SFR Jeunes Talents sont à la fois sombres et pleines de vie.
Elles laissent transparaissent cette violence urbaine, cette violence du quotidien qui peu à peu gangrènent les rapports humains dans ces camps de tsiganes rugueux et anguleux.
A l’aube du tout technologique, les méthodes traditionnelles refont surface avec force et puissance comme nous le prouve le travail du jeune Jean-Jacques Calbayrac, notre coup de cœur, qui présentes deux séries photographiques au collodion humide tirées sur plaques de verre.
Son Histoire de cris fait face aux Histoires anachroniques, portraits de famille très émouvants, comme autant de portes vers son histoire personnelle et son approche de l’art photographique.
Passionné par ce procédé datant du 19ème siècle, l’artiste capture le visage de ses proches, de sa famille et de ses amis dans des portraits totalement intemporels, qui nous renvoient à la notion du temps suspendu, de cet instant capturé sur pellicule qui dure une éternité à travers le regard du jeune photographe français.
Son travail est exposé au Trianon dans le cadre d’une installation lumineuse qui prend alors toute sa dimension et nous éclaire sur la force du regard photographique, nouveau langage universel, à l’instar du cri, fort, puissant, émotionnel. Comme sa photographie.
Faisant face au travail du jeune photographe français, les animaux en plâtre ou taxidermisés de Klaus Pichler fascinent et interpellent à leur tour.
Le photographe autrichien, diplômé en architecture paysagiste, a mis en scène dans les sous-sol du Musée d’Histoire Naturelle de Vienne des animaux figés dans sa série Skeletons in the closets.
Klaus Pichler a ainsi cherché à répondre aux questions qu’il se posait sur sur les coulisses de ce musée qui d’habitude sont loin du regard des spectateurs. Surgissent alors des images et des tableaux insolites – comme ce requin arpentant les couloirs tel un vigile – laissant le champ libre à notre imagination.
L’artiste a de suite mis l’accent sur les dépôts, les salles de stockage et les caves comme le rappelle la scénographie renvoyant à des caisses en bois comme supports photographiques.
A voir est une installation de quatre petites photographies argentiques transparentes suspendues au plafond représentant un groupe de spectateurs de dos. D’un côté comme de l’autre, nous nous trouvons face à ces mêmes spectateurs de dos sans savoir ce qu’ils regardent. La vidéo Spiegel im Spiegel, dans laquelle nous faisons face à des spectateurs qui semblent regarder un spectacle de rue invisible à nos yeux, vient compléter cette installation.
Ces deux travaux font partis de la série Petites mises en abîme du jeune Joel Curtz dans laquelle l’artiste interroge la place du spectateur et son rapport aux œuvres. Pour lui, le spectacle est un tel objet de fascination qu’il empêche de voir réellement.
A l’instar de notre sélection, la photographique est un puissant moyen pour de jeunes artistes de nous montrer leur perception du monde, chacun détenant sa propre vérité.
Grâce au Festival Circulation(s), il nous est offert une quarantaine de « manière de voir et de ressentir le monde » et de prendre le pouls d’une société qui cherche encore à ne pas perdre ses valeurs.
Le Festival y réussit et de la plus belle des manières.
Circulation(s) #3
Festival de la jeune photographie européenne
Du 22 février au 31 mars 2013 – Bagatelle Paris
A la galerie Côté Seine et au Trianon du parc de Bagatelle à Paris, Route de Sèvre à Neuilly, Paris 16e
Crédit photo : © Maryophoto, © Joel Curtz, © Jean-Jacques Calbayrac, © Cristina De Middel, © Dominique Secher, © Vladimir Vasilev, © Patrick Willocq
Marie-Odile Radom
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