Mémoires d’une Outsider à Paris par Stephanie LaCava
« Collecting information and talismans is a way of exercising magical control. You can hold a lucky charm and know everything about nature’s creatures yet still be terribly lonely » Stephanie LaCava
Par ces jours de grand froid, j’ai reçu de New-York une formidable bouffée de chaleur humaine, un condensé de petit bonheur par la poste. Ouvrant mon colis, je découvrais fébrile un ravissant objet de curiosité, un petit livre vert d’eau aux pages inégalement coupées couvertes d’illustrations. « An Extraordinary Theory of Objects – A Memoir of an Outsider in Paris » par Stephanie LaCava se présentait devant moi de la plus belle façon. Une formidable pépite inhabituelle et parfois déroutante à l’image de son auteur. Dès les premières pages, je fus conquise par ses mots et sa clairvoyance.
Stephanie LaCava. Pétillante rousse toujours magnifiquement apprêtée, cette jeune journaliste de mode de 28 ans – Vogue US, The New York Times Style Magazine – blogueuse et activiste dans l’art contemporain, ne cesse de nous distiller sa fraîcheur à chaque Fashion Week. Mais 28 ans, n’est-ce-pas un peu jeune pour écrire ses mémoires, me direz-vous ?
Plus que des mémoires, ces quelques instantanés de vie, cette plongée dans ses souvenirs d’adolescence au délicieux goût de Madeleines de Proust ont fait mouche. En effet, qui ne sait jamais senti différent(e) pendant l’adolescence, laissé(e) pour compte, jamais au bon endroit au bon moment ? Plutôt que de s’apitoyer sur son sort, elle a préféré assumer son étrangeté de la plus belle des façons, en nous la présentant de la plus belle des manières, celle d’un cabinet de curiosité littéraire.
Petite fille, Stephanie LaCava avait clairement conscience de sa différence mais n’en avait cure, préférant l’humour à la mélancolie : « I was always strange. Born with red hair to parents without it, I always thought I was a changeling – swapped at birth because some perfect couple knew they didn’t want me, even before I could talk, before I could tell they were right« .
A l’âge de 12 ans, le travail assez mystérieux de son père a entraîné toute la petite famille dans une banlieue cossue de la région parisienne : Le Vésinet. Déracinée, plus tout à fait Américaine et pas tout à fait Française, l’adolescente s’est sentie non seulement seule mais également isolée et sombra dans la dépression.
Pour affronter ses années difficiles d’expatriation, l’adolescente américaine s’est alors mise à collectionner des talismans, sorte de reliques pour le moins étranges, jusqu’à composer un cabinet de curiosité intime et pseudo-magique : une dent de baleine sculptée, un cardigan miteux qui n’est plus que l’ombre de lui-même, des scarabées, des violettes, des champignons…
Ce reliquaire assez baroque est raconté dans ce livre à travers des fiches descriptives, cartels d’une exposition imaginaire, abondamment annotées et délicatement illustrées par Matthew Nelson, mari de la créatrice de bijoux new-yorkaise Pamela Love.
Donnant brillamment vie à ces talismans, il apporte un petit supplément d’âme et de poésie à ce cabinet de curiosité : « J’ai tout adouci, confie l’illustrateur au Vogue US. J’ai fait ces illustrations de façon fragmentaire, avec le moins de détails possible pour qu’elles semblent sorties d’un vrai grimoire. J’ai passé des journées à une dizaine de centimètres de la feuille de papier. C’était cool de se reculer et de voir que tous ces points ressemblaient au final à quelque chose. »
Ce cabinet de curiosité d’un genre nouveau, récit de ses années en famille au Vésinet, est une puissante évocation de son histoire d’amour avec ses objets devenus au fil du temps ses compagnons qui ne l’abandonneront jamais. Stephanie LaCava y dépeint son adaptation difficile à une ville musée, ponctuée par les découvertes d’objets fascinants, dont elle a pris un malin plaisir à nous narrer les histoires dans les très longues notes de bas de page de son Extraordinaire Théorie.
Bizarreries d’adolescente « déracinée » pour certains, ces recherches dans lesquelles elle s’autorisait à s’égarer était sa réponse plus ou moins consciente à la solitude née de son déracinement forcé, une façon de se réapproprier sa vie et son univers. Paris est la ville idéale pour tous les collectionneurs et les amoureux du vieux Paris, de ce Paris fait de bric et de broc dans lequel les plus belles pépites, vestiges d’un temps ancien, s’offrent à nous.
Et le meilleur endroit pour créer sa propre caverne aux merveilles en partant à la chasse aux bibelots dans les différents marchés aux puces ! Au détour d’une rue, qu’elle n’est pas notre surprise renouvelée de découvrir des cabinets de curiosités impromptus.
Mais Paris peut être terriblement hostile pour ceux qui ne rentrent pas dans son moule, comme le soulignent de nombreux provinciaux et étrangers. Et c’est à un Paris bien éloigné du Paris de carte postale que Stephanie s’est heurté, perdant un peu ses illusions sur une ville rêvée pour en appréhender la triste réalité.
Subtilement, ce récit est aussi celui d’un amour inconditionnel, celui d’un père pour sa fille, qui n’a pas hésité à encourager ses « bizarreries » parce qu’il a très vite compris ce que ces objets signifiaient pour elle, ce palliatif à ses nombreuses absences.
Elle s’est métamorphosée depuis en une jolie et brillante jeune femme avec un sens du style sans pareil mais conserve parfois un voile de tristesse dans le regard. Profondément amoureuse d’un pays qu’il l’a accueillie alors qu’elle n’était qu’une jeune adolescente, Stephanie LaCava est restée attachée à la France et navigue depuis entre New-York et Paris.
Un des tous premiers à avoir craqué sur l’ouvrage illustré est Marc Jacobs. Le célèbre créateur a créé une série d’objets en édition limitée pour accompagner la sortie du livre : un t-shirt vert façon army, un collier à breloques et une pochette en cuir gravé, tous ornés de dessins du livre.
La librairie BookMarc à Paris fut comme une évidence pour sa première signature en France le 23 janvier 2013. Pour sa seconde signature le 01 février 2013 à 19h, elle a choisi la très célèbre librairie Shakespeare & Co où elle courrait acheter les versions américaines ou anglaises de ses magazines préférés et des livres.
Pour promouvoir la sortie de son livre, l’auteur s’est aussi prêtée à la réalisation de deux trailers. Le premier, Realism Deficiency, filmé par Henry Joost & Ariel Schulman (« Paranormal Activity 3 » et « 4 »), rend hommage à la grande excentrique Marchesa Casati qui ne sortait jamais sans ses serpents vivants enroulées sur elle en guise de bijoux. Le second, imaginé par la réalisatrice indépendante et chouchoute du festival indie Sundance Ry Russo-Young, est une balade lyrique.
An Extraordinary Theory of Objects – A Memoir of an Outsider in Paris – peut dérouter, de par sa forme, inhabituelle mais une fois qu’on l’appréhende véritablement, il révèle sa puissance et sa force. Les notes de bas de pages – très longues et parfois sur plusieurs pages – , sources d’information étayées, ne se lisent pas forcément aisément, il faut parfois lire le récit de ses années puis revenir sur elles. On plonge alors dans cette rédemption, dans le traitement peu conventionnel de l’intense dépression de l’auteur à travers des talismans. En leur donnant vie à jamais dans ce livre, Stephanie LaCava semble les libérer de sa mémoire et leur rend la liberté. La journaliste de mode s’est effacée, un écrivain à la sensibilité à fleur de peau est né !
An Extraordinary Theory of Objects – A Memoir of an Outsider in Paris » – Stephanie LaCava aux éditions Harper Collins
Marie-Odile Radom
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