Victoire de Castellane, l’interview
« Ne pas comparer, ne pas être en compétition. Vous la regardez et vous comprenez tout de suite ce qu’elle veut dire. » Karl Lagerfeld
Cela fait quatorze ans que l’histoire d’amour dure. Quatorze années que Victoire de Castellane apporte sa vision de la Haute-Joaillerie dans la Maison Dior à travers des créations audacieuses, colorées, exubérantes à son image. Mais également empreintes d’une douceur et d’une poésie que ne renieraient pas M. Christian Dior.
Et lorsqu’elle lui rend un ultime hommage à travers la collection My Dear, c’est toute l’histoire d’une maison d’exception, qui résonne de magnifiques pierres formant les plus belles des dentelles, celles qui habillent les femmes…
Troisième volet de ce voyage dans l’univers de Dior Joaillerie à travers ces quelques mots de sa directrice artistique, Victoire de Castellane.
D’où vient votre goût pour les bijoux ?
De ma grand-mère, Sylvia Hennessy. Elle portait des bijoux assortis à ses tenues et pouvait en changer jusqu’à trois fois par jour. Elle était impeccable, rouge à lèvres et vernis aux mains et aux pieds en permanence. C’était une apparition et c’était fascinant. Elle n’était pas une grand-mère au sens classique du terme. C’était un peu comme une héroïne hollywoodienne.
Elle était très amie de Barbara Hutton, la milliardaire américaine mariée à Cary Grant, qui portait des tiares en émeraudes en journée et vivait dans un palais à Tanger. Son monde était d’une excentricité totale, fait d’un mix d’écrivains, de stars d’Hollywood et de couturiers (dont Christian Dior). C’était la véritable jet-set.
Quand, pour la première fois, et comment cela s’est-il traduit ?
À l’âge de cinq ans, j’ai démantelé une paire de boucles d’oreilles que ma mère m’avait offerte, car je la trouvais beaucoup mieux comme ça. À douze ans, j’ai fait fondre mes médailles religieuses qui étaient sur un bracelet à breloques fait « avec amour » par ma mère, pour en faire ma propre bague.
D’où vient votre fascination pour le volume et les bijoux disproportionnés ?
Cela vient, là encore, de mon enfance, quand mon regard se posait sur les bijoux de ma grand-mère paternelle Sylvia Hennessy. À travers mon regard d’enfant, ses pierres, montées de façon très classique, me paraissaient énormes. Cette disproportion se retrouve également en haute couture où les robes de bal peuvent exiger cinq cents mètres de soie. L’équivalent en joaillerie, c’est une pierre de quatre-vingt carats. Quand j’ai remis au goût du jour les cocktails rings, on m’a prise pour une folle !
Que vous inspirent les femmes ?
Les femmes me fascinaient petite et continuent de le faire. Ce sont mes héroïnes. Je suis obsédée par le corps féminin et j’aime autant les pin-up que les vieilles dames coquettes. J’adore le glamour, les artifices hollywoodiens, Marilyn et la Liz Taylor de Cléopâtre. Je les regarde, jeunes, âgées, généreuses, belles ou moins, masculines ou très féminines. Je les trouve très inspirantes. J’aime leur voix, leur façon de marcher, leurs talons, leurs bijoux, leurs gestes. Je fais des bijoux qui sont leurs amis, qui les protègent.
Les femmes peuvent les transmettre à leurs filles, ce qui les rendra éternelles. Quand je porte une pièce de joaillerie que mon arrière-arrière-grand-mère portait, je sens sa présence. Elle vit à travers moi. Dans quatre mille ans, si un astéroïde n’a pas anéanti la terre, les bijoux seront toujours là ! C’est un peu d’éternité.
J’aimerais que mes bijoux donnent aux femmes le pouvoir de s’échapper de la réalité. Ils doivent leur permettre également d’être libres, car ils peuvent être emportés si une femme a besoin de fuir.
Comment naît une collection ?
Toujours de la même manière : j’ai l’image du bijou fini dans ma tête, je dessine un croquis rapide sur un Post-it, j’en parle avec mon studio qui, à l’issue de cela, fait un dessin gouaché (dessin à taille réelle du bijou, souvent sous diverses vues). Nous soumettons ce dessin aux ateliers basés à Paris. S’ensuivent alors de nombreux allers et retours entre l’atelier et moi, afin que chaque étape – de la cire verte à la fonte, du serti au poli – soit conforme à l’image que j’avais du bijou.
Laquelle de l’histoire ou de la pierre est à l’origine de vos créations ?
Hormis pour le Coffret de Victoire, pour lequel je pars d’une matière, je pars toujours d’une histoire. Quand je suis arrivée chez Dior, j’ai souhaité développer les thèmes de la Maison : celui du jardin de Christian Dior à Milly-la-Forêt, de la couture et des bals excentriques.
D’où viennent ces histoires ?
De partout : l’art, les expositions, le cinéma, la photographie, la rue, l’univers féminin, l’amour, la sexualité, la psychanalyse, la vie… Les bijoux que je crée sont comme des personnages auxquels je donne des noms.
Quelle est votre pierre préférée ?
L’opale. Grâce à ses feux, on dirait qu’elle est vivante. Elle est comme les Nymphéas de Monet, possède toutes les couleurs comme si un génie vivait à l’intérieur.
Vous avez toujours créé de la joaillerie ?
Oui, même lorsque j’étais chez Chanel, où j’ai créé pendant quatorze ans les bijoux fantaisie, j’allais, à l’heure du déjeuner, acheter des bijoux anciens que je customisais. Je n’étais jamais satisfaite car je ne trouvais jamais les bijoux assez gros. Alors, je suis allée me faire fabriquer une très grosse bague dans un petit atelier parisien… et tout a commencé.
Quels sont vos joailliers préférés ?
Lalique pour son amour des femmes, Boivin, Belperron pour leur liberté créative.
Quelle est votre actualité 2012 ?
Le premier livre Dior Joaillerie aux éditions Rizzoli (en librairie depuis le mois de mars), la collection My Dior (en boutique depuis le mois de mai) et une collection de haute joaillerie Dear Dior pour la Biennale des Antiquaires de Paris, en septembre prochain.
Quel est le thème de cette collection ?
Les bijoux couture revisités en vraie joaillerie.
De combien de pièces est-elle composée ?
20 pièces uniques (2 bracelets, 11 bagues et 7 paires de boucles d’oreilles) et 10 pièces reproductibles.
Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Les 20 pièces sont inspirées de l’idée des bijoux couture dont Monsieur Dior accessoirisait ses tenues en coulisses des défilés dans les années 50. Ces bijoux fantaisie ressemblaient aux vraies pièces de joaillerie de l’époque. J’ai réinterprété l’idée des bijoux couture mais en vrais bijoux.
Après Le Bal des Roses en 2011, qui était une collection très figurative, j’avais envie d’être où on ne m’attendait pas, d’une collection plus abstraite, car cela m’intéressait d’aller vers un champ artistique différent de ce que je fais pour Dior depuis 1999.
Le figuratif, je l’ai réservé à l’envers des pièces afin qu’il soit totalement travaillé comme des motifs de dentelles de robes Dior des années 50. De manière générale, le fil rouge de cette collection est : couleur, couture et féminité. Pour la couleur, j’avais envie de pierres inattendues et d’associations très diverses.
Vos dernières créations de haute joaillerie traitaient de roses qui auraient mis leurs plus belles robes de haute couture. Personnifiez-vous encore ces bijoux ?
Pas vraiment, même si, comme pour toute création, je pense toujours à des femmes.
Quelles sont les pierres que vous avez utilisées ?
Beaucoup de pierres différentes, comme des tourmalines Paraïba et vertes, des opales de feu, des opales wollo (d’Ethiopie), des opales noires « lightning ridge », des émeraudes, des diamants blancs, jaunes et verts, des spinelles roses ou orange, des rubellites, des saphirs, des apatites, des sphènes et des grenats spessartites… entre autres.
Pourquoi avoir appelé cette collection « Dear Dior » ?
C’est une référence aux noms anglais donnés par Christian Dior dès 1947 (ex : parfum Miss Dior). C’est également comme une courtoisie, le début d’une lettre à Dior.
Quels noms avez-vous donné à ces nouvelles créations ?
Le nom de chaque parure ou pièce est formé de deux ou trois éléments : un détail de robe haute couture mixé au nom de la pierre de centre ou à une harmonie de couleurs (Dentelle Chantilly Multicolore, Organza Brodé Paraïba, Résille Bouquet d’Opales, Guipure Framboise Rebrodée, Broderie Grenade Irisée, Dentelle Opale d’Orient, Dentelle Saphir Iris, Tulle Pointillés Colorés, Dentelle Médaillon Soleil, Résille Grenat Exotique et Dentelle Tourmaline Rebrodée).
Quelles sont les prouesses techniques sur cette collection ?
La taille des pierres, la délicatesse et la minutie des sertis à chaton ou en escaliers et le travail de dentelles des dos. Je voulais que les montures soient « chahutées » pour donner l’effet d’un crumble de pierres scintillant. Ces montures en escaliers, très peu d’artisans sont capables de les réaliser.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour développer cette collection ?
24 mois de la première idée à la pièce terminée. Vous proposez exclusivement des bagues, bracelets et boucles d’oreilles.
Pourquoi ?
Car c’est la chose la plus facile à regarder sur soi ! Et c’est ce qui flatte le plus les gestes et le visage de la femme…
N.D.L.R. Propos recueillis par la Maison Dior.
Marie-Odile Radom
Related posts:
ótima designer quero me espirar em você