Helmut Newton, l’exposition
« Une bonne photo de mode doit ressembler à tout sauf à une photo de mode. A un portrait, à une photo souvenir, à une photo de paparazzi. » Helmut by June – Helmut Newton
Le 30 juillet prochain se termine au Grand Palais la première rétrospective en France d’un des photographes les plus talentueux de sa génération mais également l’un des plus controversés : le célèbre photographe Helmut Newton.
Portraits de femmes qu’il se complaît à déshabiller, sélection d’images sulfureuses, iconiques et provocantes à la fois, portraits de créateurs, d’artistes ou d’actrices, cette exposition se veut avant tout l’expression même des obsessions et du style de celui qui gardera à jamais le surnom du « père du porno chic ».
Cette exposition regroupe plus de deux cents images, presque exclusivement des tirages originaux ou « vintage » réalisés sous le contrôle d’Helmut et des Polaroids. Conséquente, elle se veut un parcours rétrospectif et thématique autour des grands sujets newtoniens que furent la mode, les nus, les portraits, le sexe et l’humour à travers une sélection pointue effectuée par la propre femme de l’artiste, June Newton plus connue sous le nom d’Alice Springs.
Car Helmut Newton était bien un artiste ayant élevé la photographie de mode au rang de photographie d’art, s’affranchissant des codes ultra-stricts et imposés du genre pour en faire l’expression même d’un imaginaire puissant dans laquelle la femme apparait libérée, indépendante, puissante dans une apparente mais douce transgression.
Dès le début de l’exposition, le ton est donné. Le nu est omniprésent dans son œuvre, à l’image de cet autoportrait pris en présence de sa femme qui révèle la personnalité d’Helmut bien plus qu’aucune autre de ses photographies, sous le regard de son double féminin.
Rien ne prédisposait Helmut Neustädter, jeune juif Berlinois à devenir le grand photographe respecté de tous qui, victime d’une attaque à l’âge de 83 ans, perdit le contrôle de sa Cadillac à la sortie du garage du Château-Marmont à Hollywood. Rien mis à part la rencontre à l’âge de sept ans avec Erna la Rouge, prostituée rousse aux cuissardes rouges sachant manier la cravache. Ce souvenir le marquera à jamais installant les bases de la construction de son imaginaire.
Helmut Newton n’oubliera jamais le Berlin de son enfance, celui des années trente, de sa véritable rencontre avec la photographie et de son ambition de devenir photographe pour Vogue. En 1936, il est placé comme apprenti chez Yva, une célèbre photographe de l’époque. Au cours de sa formation, il s’initie au portrait, au nu et à la photographie de mode et s’exerce librement dans le studio durant les heures de fermeture.
Deux ans plus tard, à l’aube de l’émergence de l’Allemagne nazie, il fuit Berlin pour rejoindre Singapour, emportant son Rolleicord et un Kodak. Puis, il part se réfugier en 1940 en Australie dont il deviendra citoyen sous le nom d’Helmut Newton, la guerre finie. C’est en 1947 qu’il rencontra Jane Brunell, qui posa pour lui dans son petit studio de photographie et finit par devenir sa femme l’année suivante.
Après une période de balbutiements, c’est finalement au début des années soixante qu’Helmut réalise son rêve : être photographe pour Vogue. Employé à plein temps par l’édition française du magazine, il révolutionne la photographie de mode imposant son style sexy libéré de toute contrainte, du cadre imposé d’une photographie emprisonnée dans un studio tenant plus de la nature morte.
Dès 1964, après avoir été licencié de Vogue pour avoir illustré pour Queen Magazine la nouvelle collection Courrèges, Helmut donne alors libre cours à son imagination et développera un travail plus personnel pour le magazine Elle notamment.
Et lorsque Vogue le réengage en 1966, son style s’est peaufiné illustrant avec vigueur l’insolence fantaisiste de la bourgeoisie à travers une femme politiquement incorrecte, imposant l’image de la femme nue dans la mode. Lieux inattendus, rues sombres, parkings, aucun endroit ne semble échapper à son sens de la mise en scène sulfureuse où la femme – au centre de son œuvre – apparaît dans sa toute puissance toujours perchée sur ses escarpins.
Ainsi, lorsqu’il la pare d’un smoking Saint-Laurent rue Aubriot, il définit de la plus belle manière l’essence même de la femme rêvée du couturier. Bien qu’affublée d’une tenue habituellement réservée aux hommes, imitant la gestuelle masculine, le cheveu plaqué vers l’arrière, la femme Yves Saint-Laurent n’en est pas moins terriblement féminine, puissante et consciente de son pouvoir.
Sculpturales et dominatrices, habillées ou nues, telles des amazones contemporaines, les femmes de Newton s’imposent désormais comme des modèles d’un genre qui sera repris plus tard notamment par Carine Roitfeld et Tom Ford. Animé d’une envie de braver les interdits, Helmut Newton reconnaît son attirance pour le mauvais goût : « J’adore la vulgarité. Je suis très attiré par le mauvais goût, plus excitant que le prétendu bon goût qui n’est que la normalisation du regard. »
Mais Helmut ne se contente pas d’utiliser la provocation pour choquer. En parfait témoin de ses contemporains, le photographe utilise la provocation ou l’humour pour dépeindre le pouvoir et les rapports de force dans les échanges sociaux. Les scènes sado-masochistes qu’il affectionne ne sont qu’une partie de son vocabulaire et son goût pour les nus ne semble qu’être une manière forte de mettre à nu les âmes : « Rien n’est plus dévoilant que la nudité, fut-elle vêtue.«
Et lorsqu’il exécute ses Grands Nus au tirage impressionnant, c’est presque un regard anthropologique qu’il jette sur le corps de la femme, les choisissant souvent avec des caractéristiques similaires, des plastiques parfaites s’inspirant des photographies d’identité judiciaire de terroristes allemands et toujours en escarpins.
Les photos sont brutes, s’éloignant du cliché érotique pour être au plus vrai. Jouant sur les oppositions, il révèle la beauté brute de ses modèles dans sa série Habillé/Déshabillé mettant en miroir les attitudes du modèle habillé et celles lorsque celui-ci est nu ou en partie.
Helmut Newton était aussi un portraitiste talentueux, fasciné par la célébrité : « J’aime photographier les gens que j’aime, les gens que j’admire, les gens célèbres, et surtout les tristement célèbres. » Mais plutôt qu’un regard angélique, c’est un regard franc mais jamais dérangeant que portait le photographe, mettant en lumière des pans de la personnalité enfouis très profondément.
Yves Saint-Laurent nous offre ses démons intérieurs à venir dans deux portraits en pied, on les ressent fortement, prêts à exploser et pourtant tapis dans l’ombre d’un regard hypnotique. Et Catherine Deneuve apparait belle, sensuelle, presque sexuelle la cigarette à la bouche et la main dans le décolleté, dans ce cliché pour le magazine Esquire presque dix ans après son rôle dans le chef d’œuvre de Luis Buñuel Belle de Jour.
Depuis la mort d’Helmut Newton en 2004, aucune rétrospective du photographe n’a encore eu lieu en France, où il a pourtant créé une partie majeure de son œuvre, en travaillant notamment pour l’édition française de Vogue. L’exposition proposée par le Grand Palais y remédie, nous offrant une vue d’ensemble de l’œuvre photographique provocatrice et révolutionnaire d’Helmut, bien plus complexe que sa réduction si simpliste au nu et au « porno chic » de clichés à l’esthétique sado-masochiste.
Provocateur, il fut néanmoins considéré comme l’un des photographes contemporains les plus talentueux, capable de représenter la femme forte, libérée, volontaire, sexuelle, dominatrice, mais en aucun cas un sexe faible. Outre son talent indéniable avec une maîtrise totale du noir et blanc, cette exposition rend hommage au style d’un maître qui savait mieux que quiconque mettre à nu le sujet de l’œuvre de toute une vie. Une vie d’artiste à la longévité exemplaire, la vie d’un homme qui aimait les Femmes mais qui s’est attaché à une seule : June.
Crédit photo :
Image à la une : Saddle 1 Paris, Hermès 1976 © Helmut Newton Estate
Diptyque Yves Saint-Laurent Yves Saint Laurent Vogue France Paris, 1975 © Helmut Newton Estate
Marie-Odile Radom
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