Art Paris 2012
Le mois de mars se termine, l’hiver prend ses distances et commence enfin la saison artistique avec la première grande foire d’art contemporain de l’année : ART PARIS. Jusqu’au dimanche 1er avril 2012, 120 exposants venus de 16 pays, dont 56% de nouveaux arrivants, nous ont donné le pouls de l’art moderne et contemporain sous la grande verrière du Grand Palais.
Peintures, sculptures, vidéos, installations en tout genre et photographies dressent un constat éclectique sans appel d’un secteur qu’on pense en crise.
Cette année, ART PARIS amorce un tournant prenant une dimension plus internationale avec 40% de participation étrangère et met à l’honneur les scènes européennes faisant ainsi émerger les scènes locales et singulières.
Désormais connu sous le nom ART PARIS ART FAIR, la foire, portée par une nouvelle équipe avec à ses commandes l’ancien directeur de Paris-Photo Guillaume Piens, accorde une place plus importante à la photographie. Et le changement est palpable, outre le recentrage sur des valeurs sûres telles que Robert Combas ou Philippe Pasqua, bon nombre de galeries propose au moins une voire plusieurs photographies.
Ainsi, la A. GALERIE (www.a-galerie.fr) est une véritable bouffée d’air frais avec en exclusivité la série Myths, Monsters and Legends mêlant l’esthétique de deux amis de longue date, Damien Hirst, qu’on ne présente plus, et Rankin, l’un des photographes les plus créatifs, inventifs et libres du moment. A travers cette collaboration, les deux artistes revisitent les créatures de la mythologie gréco-romaine (Méduses, Gorgones…) incarnées par le mannequin Dani Smith.
Troublés par le noir et blanc délicat de Peter Lindbergh, nous redécouvrons avec plaisir des clichés issus du projet Shadow Falls de Nick Brandt,
les photographies de Martin Schoeller dont les portraits de célébrité en gros plan fascinent et dérangent à la fois…
et les tirages platine de Mark Seliger donnant un aperçu de son travail personnel plus intime à travers l’exposition LISTEN en cours à la A. Galerie.
Les photographies de l’artiste allemande Stéphanie Schneider proposée par la Galerie Catherine et André Hug (www.galeriehug.com) ont été réalisées à partir de films Polaroïd périmés. A la croisée du film et de l’art, elles nous plongent dans un monde onirique grâce aux aberrations chromatiques et aux halos, qui se posent sur les motifs arrangés avec soin comme une seconde réalité. Les images semblent fugitives, floues.
La photographe explore et illustre les rêves et fantasmes d’une communauté résidant sur un terrain de caravaning en plein désert californien. Elle évoque l’ambivalence entre imagination et interprétation, fiction et réalité, et laisse au spectateur le soin de fabriquer sa propre image, de se situer dans un espace réel ou surréel.
La galerie Imane Farès (www.ifgalerie.com), spécialisée dans les scènes du Moyen-Orient et africaines, a présenté les flous en photographie d’Halim Al Karim. Durant la guerre du Golf, le photographe irakien fut obligé de servir dans l’armée qu’il déserta rapidement pour se réfugier dans une grotte au sud du pays. Une femme du désert, voilée, lui apportait des vivres. A travers ses portraits, l’artiste rend hommage au regard perçant de ces femmes.
La série Ritratti,Torino 2010 d’Aurore Valade, proposée par la galerie turinoise Gagliardi Art System (www.gasart.it), est constitué d’une série de photos montages composés de portraits inspirés par des peintures de la Renaissance, et d’intérieurs recomposés, inspirés des peintures flamandes et de paysages de Turin. Ce travail, véritable regard ethnologique et pointu sur les intérieurs turinois est une saisie sur le vif de ce qui fait la « torinesità ».
La galerie nous a également présenté Obsidian, Gordon & Austin des artistes Glaser et Kunz, une installation de personnages avec projection vidéo et son. Bon nombre de spectateurs se sont laissés surprendre par le réalisme extrême de l’installation.
La galerie Acte2 (www.acte2photo.com) défend le regard d’une famille d’artistes européens sur un monde en perpétuelle mutation et montre pour la première fois le travail de l’artiste serbe Rasa Todosijecic, qui a représenté la Serbie à la Biennale de Venise.
La galerie propose, outre le travail des photographes Josef Hoflehner, Gerald Förster et celui plus futuriste du photographe français Cédric Delsaux, un ensemble d’installations de l’artiste contemporain belge Pascal Bernier dont l’œuvre fantasque pose un regard sombre mais ludique sur notre société.
La Galerie Rabouan Moussion (www.galerie-rabouan-moussion.com) propose une sélection d’artistes particulièrement brillante. Ainsi, l’artiste dominicain de street-art Jonone amorce également un virage avec une nouvelle vision du graffiti en 3D. Le graffiti devient volume dans d’hypnotiques arabesques mêlant le plexiglas, le métal et le bois. La flèche prend ainsi un peu de profondeur et file vers la stratosphère.
L’artiste hongroise Kata Legrady s’attaque aux symboles forts liant la violence et la société de consommation à travers des installations visuelles mêlant des univers antinomiques. Dans une étonnante boîte à musique, Mickey et Minnie en résine prennent les armes et tournent en rythme conservant leurs sourires bienveillants.
Née en Hongrie en 1974, Kata Legrady a appris à se servir d’une arme dès l’enfance pendant l’occupation soviétique. A l’effondrement du régime en 1989, la démocratisation apporta son lot de nouveautés, parmi lesquelles… des Smarties.
Cette fascination de l’artiste pour les armes de guerre et les friandises a engendré la fameuse série appelé Guns and Candies dans laquelle les armes se couvrent de sucreries transformant des objets mortels en jouets.
Le fusil se fait cheval dans l’œuvre à la selle bleue Gun & saddle fabriquée par la maison de luxe HERMES. Violence et argent se confondent dans un revolver recouvert de billets de un dollar. « In God we trust«
Humour fin et déroutant avec l’artiste indien Sunil Gawde, qui s’exprime sous la forme de sculptures, peintures et installations mobiles maintenant pour autant un style distinctement identifiable. Ses sujets ont tendance à être des objets en apparence banals, comme des essuie-glaces, des ampoules ou des loupes. Il explore les secrets cachés de ses sujets quotidiens grâce à des expériences avec leur présence physique, l’échelle et la texture dans l’intention de développer leur potentiel symbolique.
Deux regards distincts de l’artiste Erwan Olaf nous sont également proposés. La Galerie Rabouan Moussion nous propose une bien curieuse installation The Keyhole qui invite le spectateur à devenir voyeur de photographies dans lesquels les sujets nous tournent le dos, refusant de nous regarder, nous simples voyeurs. L’hyper réalisme des clichés s’approchant de la peinture est troublante.
A l’inverse, la galerie hollandaise Flatland Gallery (www.flatlandgallery.com) nous propose un regard plus habituel de l’artiste, celui de la photographie de mode à travers quelques photographies de sa série Hotel où son sens de la composition et son souci du détail font mouche. Des mannequins alanguies et désœuvrées en petite tenue semblent figées dans leur mélancolie dans des chambres d’hôtel froides malgré le côté esthétisant de la composition.
L’œuvre de Bruno Peinado There’s no pleasure in having nothing to do, the fun is in having lots to do and not doing it (2010) proposée par la galerie autrichienne Mario Mauroner Contemporary (www.galerie-mam.com) intrigue. En mixant diverses influences, il crée de nouveaux liens entre art plastique et autres expressions culturelles et fait se confronter le milieu de l’art avec celui de la vie quotidienne dans une sorte de métissage (qu’il nomme créolisation), une collision d’images fait de jeux de lumière et de reflet.
L’art figuratif, qui fête ses trente ans, a la part belle avec un certain nombre de toiles de Robert Combas, proposées notamment par la AD galerie (www.adgalerie.com) ou la galerie Pierre-Alain Challier (www.pacea.fr).
La galerie parisienne Esther Woerdehoff (www.ewgalerie.com) a mis à l’honneur les images d’Elene Usdin, qui se met en scène, se déguise et incarne des femmes historiques (Isadora Duncan, Simone de Beauvoir, Juliette Récamier), surprises dans leur intimité. Ces photographies s’accompagnent de courts-métrages ludiques et humoristiques dans les chambres d’hôtels où ont été prises ces images.
Outre un programme VIP A Paris au Printemps mettant en avant la richesse de l’actualité parisienne et un cycle de conférences abordant les questions d’actualités artistiques, la grande nouveauté réside dans les deux nouveaux secteurs proposés par ART PARIS : Séries Limitées dédié au Design de création contemporain et Grand Format présentant une dizaine de pièces monumentales.
Piloté par Bénédicte Colpin, experte en design, le secteur Séries Limitées explore les liens entre art et design contemporain à travers des pièces exemplaires réalisées en mode confidentiel par des talents contemporains. Le 28 Mars 2012, un jury d’expert a décerné le premier Prix Prototype Série limitée à l’œuvre The Power of Love, de Mathieu Lehanneur (Galerie Slott).
Composé de deux casques audio indépendants reliés à un feu, The Power Of Love correspond symboliquement à l’image de deux amants reliés par leur amour et le feu de leur passion et dégage une formidable puissance sculpturale.
Tant d’œuvres mériteraient d’avoir leur place ici mais il faut s’arrêter un jour.
Événement artistique très attendu, ART PARIS 2012 marque une évolution majeure de la manifestation avec une nouvelle équipe, un nouveau comité de sélection et de nouvelles ambitions bien plus internationales. Malgré la lourde actualité artistique de la semaine (Art PAris, Drawing Now, Le salon du Dessin Contemporain, Chic Dessin, le salon 1.628 du Luxe équitable, Promenade pour un objet d’exception, Journée des métiers d’Arts…), ART PARIS a su se démarquer et trouver sa place via une sélection on ne peut plus éclectique mais cohérente. On pourrait juste déplorer une certaine fébrilité dans certains choix, plus proche de la valeur sûre que de la prise de risques. Vivement l’année prochaine.
Marie-Odile Radom
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