Diane Arbus, l’exposition événement du Jeu de Paume
« Une photographie est un secret sur un secret. Plus elle vous en dit, moins vous en savez. » Diane Arbus
Aujourd’hui se termine l’une des expositions de photographies les plus importantes de l’année 2011 : celle consacrée à la photographe américaine Diane Arbus au Musée du Jeu de Paume à Paris. La première rétrospective française de ce monument de la photographie a dépassé les 195 000 visiteurs, un véritable record pour ce musée dédié à la photographie et à l’image.
Diane Arbus a profondément marqué l’histoire de la photographie. Ses choix thématiques aussi bien que son approche photographique ont donné naissance à une œuvre forte et troublante, avec le parti pris de nous montrer ce qui souvent se cache sous le regard complaisant de ses contemporains, cette facilité du regard qui exclut.
Son objectif à la main, la photographe disparue en 1971 plonge son regard pertinent sur le genre humain dans toute sa complexité, offrant ainsi de nouvelles perspectives pour la compréhension que les gens ont d’eux-mêmes et de leur époque. Mieux que quiconque, la photographe a montré le chemin vers l’anthropologie contemporaine explorant la relation entre l’apparence et l’identité et offrant une galerie de portraits saisissants de vérité.
Sa photographie fascine et dérange à la fois. Longtemps cantonnée à une étiquette simpliste, la photographe des « freaks » était bien plus que cela malgré son goût pour les personnalités hors-normes. Derrière une apparente fascination de l’étrange se cachait un véritable amour du genre humain dans toute sa diversité, décortiquant l’individu dans sa singularité sans porter de jugement.
A l’instar de son mentor Lisette Model dont elle a suivi les cours, Diane Arbus a puisé l’essentiel de son inspiration dans sa ville natale New York, qu’elle arpentait à la fois comme un territoire connu et une terre étrangère. Fascinée par les personnalités hors-normes, elle s’appliquait à immortaliser sur pellicule travestis, transformistes, handicapés mentaux, jumeaux, personnes de petite taille, nudistes ou encore artistes de cirque.
Née en 1923 au sein d’une famille bourgeoise, Diane Nemerov se marie à 18 ans avec Allan Arbus, photographe bohème. Elle prend ses premières photos au début des années 1940 puis étudie la photographie en 1954. Sa rencontre avec la photographe Lisette Model inscrira définitivement sa démarche dans la continuité de la sienne, commençant par photographier des personnes dans la rue avant de les suivre chez eux allant même jusqu’à pénétrer l’intimité de la chambre à coucher.
L’artiste refusait de recadrer ses images pour conserver l’émotion brute, intacte. Les ombres de ses noir et blanc et le choix du format 6×6 définissent un style classique et formel qui apparaît aujourd’hui comme l’une des grandes caractéristiques de son travail. Comme beaucoup, Diane Arbus utilisait dans les années 50 un Nikon 35 mm. Mais, en 1962, elle commença à travailler avec un Rolleiflex 6 x 6, disant, à propos de ce changement, qu’elle voulait éliminer le grain de ses photos et pouvoir découvrir dans ses images la véritable texture des choses.
Diane Arbus savait gratter le vernis des apparences pour prouver à ses contemporains que la supposée laideur n’était pas forcément là on pensait la trouver. Par la suite, cette façon d’illustrer une époque à travers ses contemporains a beaucoup influencé et continue d’influencer le regard, les portraits et la subjectivité de photographes dits humanistes.
En mélangeant le familier avec le bizarre, celle pour qui le sujet était plus important que l’image en elle-même dresse un portrait troublant de l’Amérique des années soixante. Dans un voyage très intime à travers près de deux cent clichés, cette exposition fut l’occasion de prendre toute la mesure et toute la force d’un travail sans précédent.
Mêlant images emblématiques et clichés inédits, cette rétrospective présente également l’artiste ainsi que des carnets personnels, et différents appareils photos de l’artiste dans les deux dernières salles, laissant la primauté aux seules photographies. On peut également y lire une partie de l’importante correspondance que Diane entretenait avec ses amis et ses confrères.
Beaucoup de scènes de vie américaines sont exposées mais également de portraits du quotidien, les caricatures sont amplifiées et les différences mises en avant comme pour ces jumelles à priori identiques mais si différentes faisant d’elles presque des siamoises. Une vielle bourgeoise blonde à la voilette prise en cadrage serré parait factice avec son maquillage outrancier et sa probable perruque. L’effet limite grand angle augmente cette impression de monstres et pourtant elle ne fait que montrer. Le même effet porte un regard plus empathique sur les gens dits « freaks ».
Diane Arbus a photographié les marginaux de toute sorte montrant leur humanité au quotidien. Sous l’apparente laideur, elle savait révéler la beauté sous-jacente et avait une certaine affection pour les personnalités meurtries : « Il y a une qualité légendaire chez les phénomènes de foire. Comme un personnage de conte de fées qui vous arrête pour vous demander la réponse à une énigme. La plupart des gens vivent dans la crainte d’être soumis à une expérience traumatisante. Les phénomènes de foire sont déjà nés avec leur propre traumatisme. Ils ont déjà passé leur épreuve pour la vie. Ce sont des aristocrates.«
Agissant comme un révélateur, Diane Arbus savait également montrer la tristesse derrière le masque apparent du bonheur de la bourgeoisie américaine comme ces jeunes danseurs de concours dont la fille a un regard mélancolique ou encore ce jeune militant au regard triste militant pour la guerre au Vietnam. Ces instantanés de vie savaient mettre en avant les contradictions d’une société américaine prisonnière de ses carcans et de son puritanisme. Car la force de Diane Arbus était la manière dont elle captait les regards tels des miroirs de l’âme.
Elle dévoilait avec talent ceux que la bonne société de l’époque refusait de voir. Ainsi son ultime série de clichés nommée Untitled sera prise lors du pique-nique annuel de la Fédération des Personnes Handicapées que le Jeu de Paume a placé dans une salle à part dont on franchit le seuil intrigué. Les malades, portant des costumes de bal masqué, dansent autour d’elle insouciants du regard se posant sur eux. Elle se suicidera peu après le 26 juillet 1971 à l’âge de 48 ans.
Cette exposition, dont le parti pris fut de laisser le spectateur se faire sa propre idée sur le travail de l’artiste, intrigue par le questionnement qu’elle induit sur l’identité et surtout sur la normalité. Son regard porté sur ses contemporains était sans jugement, la photographe ne faisait que mettre en lumière l’humanité de personnalités qualifiées parfois de hors-normes. Outre la fascination pour la qualité de son travail, cette rétrospective bouleverse par ses choix thématiques et n’a laissé personne indifférent.
On en ressort ému et soucieux, presque abasourdi par la force de ce regard. Le travail de Diane Arbus n’aura duré que 15 ans mais il contribua largement à dessiner les contours de la photographie documentaire moderne. Et là, une question revient sans cesse, qu’aurait montré de nous et de notre société l’objectif de Diane Arbus ?
Crédit photo :
Image à la une : Jeune homme en bigoudis chez lui, 20e Rue, N.Y.C. 1966 © The Estate of Diane Arbus
Marie-Odile Radom
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