Métropolis, l’exposition événement à la Cinémathèque
« Metropolis est né du premier regard que j’ai jeté sur les gratte-ciels de New-York en octobre 1924. » Fritz Lang
Cette scène est une des scènes les plus connues de l’histoire du cinéma et restera à jamais attachée à la légende d’un film faisant partie du Patrimoine mondial : entourée d’une gaine de bandes blanches étincelante, un robot androïde en forme de femme prend soudainement vie au centre d’anneaux de lumières.
Ce film, c’est Metropolis réalisé en 1927 par le réalisateur autrichien Fritz Lang. Film expressionniste muet produit pendant la République de Weimar, Metropolis oppose le cerveau (la caste dirigeante) et la main (le prolétariat souterrain travaillant dans des conditions déplorables à des cadences infernales) dénonçant ainsi une société industrielle complètement déshumanisée dans un monde utopique dominé par la machine.
A la fois cœur de la ville et menaçante, la machine dépersonnalise les corps et impose un rythme implacable à la ville. Tel le Moloch, elle avale les ouvriers qu’elle brûle inlassablement. Seule la « rébellion » du fils de maître de Metropolis, amoureux d’une ouvrière, saura mettre du cœur dans une société esclave de la mécanique et réconciliera le cerveau et la main au sommet d’une cathédrale.
Hors norme, grandiose et démesuré, l’un des premiers films de science-fiction a eu une influence notable sur les films contemporains d’anticipation, de Blade Runner avec la fameuse Tour Tyrrell Corporation au Cinquième Élément pour les voies hautes en passant par Matrix en quête d’Elu. Le robot Maria a certainement inspiré George Lucas pour le design du robot C3-PO de la Guerre des Etoiles.
L’influence du film Metropolis a dépassé les sphères cinématographiques pour rejoindre le monde de la mode. Au milieu des années 90, Thierry Mugler réinterpréta la femme-robot en un costume femme-robot aux contours chromés épousant la silhouette. Nicolas Ghesquière, le directeur artistique de la maison Balenciaga, fit sensation avec ses leggings cuivrés ou dorés de l’été 2007. Madonna pour son clip Express Yourself s’inspira également de Metropolis.
Jamais un film ne fut autant incompris dans l’histoire du cinéma ! Visionnaire et moderne, Metropolis illustre la lutte des classes mais anticipe également la montée du nazisme en la transformant en collaboration des classes. La propre femme de Fritz Lang, Thea von Harbou, déjà proche des nazis, influença grandement le scénario qui s’appuie sur une révolte ouvrière cataclysmique (le déluge tuant les enfants) résolue par une troisième voie s’avérant être une allégorie du nationalisme. On comprend ainsi pleinement pourquoi ce film plut tant à Adolf Hitler (certaines scènes renvoient directement à l’image des SS) et pourquoi il voulait faire de Fritz Lang le cinéaste de la propagande nazie.
Conçue en 2009, un an après la redécouverte d’une copie originale du film à Buenos Aires, l’exposition Metropolis permet de découvrir le film à travers son scénario, du prologue dans la cité moderniste à la scène finale dans la cathédrale et s’articule autour des principales scènes du film.
Peter Mänz et Kristina Jaspers, les commissaires de l’exposition, proposent au visiteur d’entrer dans la ville du film, Metropolis mais aussi de suivre pas à pas l’histoire d’un chef d’œuvre du cinéma défiguré dès sa sortie. En effet, Metroplis subit de nombreux aléas dès sa genèse. Le film fut le plus cher de son époque mais n’eut pas le succès escompté. Aussitôt après les premières projections en 1927 à Berlin, le film fut envoyé à la Paramount qui décida de le raccourcir et de le remanier pour sa sortie aux États-Unis.
Des scènes entières furent supprimées rendant son intrigue peu compréhensible. La copie allemande fut remontée à l’identique. L’essence même du film, conçu comme un blockbuster, fut perdue durant de bien longues années. Le film dès lors déchaîna les passions, historiens du cinéma et restaurateurs n’ont eu de cesse de reconstituer la version de Fritz Lang, comparant les diverses pellicules éparpillées aux quatre coins de la planète, découvrant des scènes oubliées dans des archives tchèques.
Jusqu’à l’année 2008, où par miracle un exemplaire de la version originale fut découvert à la Cinémathèque de Buenos Aires. Quoique très abîmée, cette version fit l’objet d’un fastidieux travail de restauration par la fondation Friedrich Wilhelm Murnau qui permit en 2010 de ressortir le film en salles dans une version très proche de l’originale.
La Cinémathèque nous donne un formidable accès à travers cette exposition à une collection unique qui témoigne à la fois des secrets de tournage de cette production démesurée et du travail de recherche et de restauration de la version originale. Il a fallu plus de 300 jours et 60 nuits de tournage avec 750 acteurs et plus de 25 000 figurants pour terminer cette œuvre spectaculaire quand plus de 80 ans furent nécessaire pour retrouver un exemplaire de la version originale du film.
Rassemblant une somme colossale d’objets et documents utilisés durant la production du film, Metropolis est l’occasion rare d’admirer des caméras d’époque et de contempler le script du film et des extraits de la partition musicale d’origine du film composée par Gottfried Huppertz.
Plus de 800 photographies de tournage sont exposées, accompagnées de croquis des costume et des décors inédits en France qui permettent de se rendre compte de leur magnificence. La spectaculaire série de têtes sculptées par Schulze-Mittendorff La Mort et les sept péchés capitaux est également visiblement aux détours d’une petite salle.
Grâce aux nombreuses anecdotes de tournage, on en apprend beaucoup plus sur le style de Fritz Lang, perfectionniste, rigoureux et avant-gardiste, qui n’hésitait pas à refilmer une scène sous différents cadrages et éclairages. A une époque où règne le tout technologique en termes d’effets spéciaux, il est intéressant de poser un regard plein de recul sur les techniques employées à l’époque grâce notamment à l’utilisation de maquettes (jardin éternel, salle des machines…).
Ainsi la rétroprojection dans l’image via des miroirs de Schüfftan permettait de mélanger au moment de la prise de vue décors réels et miniatures en donnant l’impression d’une image d’un seul tenant. La pellicule fut à de nombreuses fois exposées voire griffées afin d’obtenir le bon effet. Les effets spéciaux pour la scène de création du cyborg ont été réalisés grâce à un ingénieux système d’expositions multiples. Plusieurs techniques d’effets spéciaux ont été utilisées pour la réalisation de la vision de Babel. Mille figurants ont eu le crâne rasé et ont tiré une maquette en parpaing à travers le Volkspark Rehberge de Berlin.
Les six grandes séquences du film (La Cité des Fils, La Ville Ouvrière, La Ville Haute, Le Laboratoire Rotwang, Les Catacombes, La Cathédrale) sont présentées sous la forme d’extraits commentés et sont illustrées par des projections et des pièces uniques : dessins originaux des décorateurs Erich Kettelhut et Otto Hunte, robot de la « femme-machine » reconstitué par Walter Schulze-Mittendorff, costumes, appareils…
A travers sa scénographie particulière, on remarque que Metropolis est construit sur des jeux d’oppositions perpétuelles : entre les puissants et les ouvriers, entre un mythique élu qui apportera le bonheur et le quotidien malheureux des ouvriers, entre un père Fredersen puissant et sourd aux problèmes de ces ouvriers-esclaves et un fils Freder qui a ouvert les yeux.
La dualité est aussi très forte entre la lumineuse Cité des Fils, lieu d’opulence et d’oisiveté au jardin éternel et la base Ville Ouvrière, sombre, oppressive et étouffante, entre une Maria humaine et douce et son double robot, maléfique et dure, entre la Ville Haute siège du pouvoir avec ses voies de chemin de fer aérienne et les Catabombes avec ses tunnels sous terre entre la Cathédrale et Yoshiwara, lieu de décadence des nantis.
Malgré un scénario un poil biblique (avec Elu, Tour de Babel et néo-déluge à la clé), le film fait un emprunt de taille à la culture juive en faisant de l’inventeur fou Rotwang un ersatz de Rabbi Loew créant son Golem. On remarquera le pentacle présent derrière la femme-robot symbolisant le mal apporté par cette créature.
La dimension spectaculaire du film Metropolis avec ses décors gigantesques et ses costumes somptueux prend toute son sens avec cette magnifique exposition qui ravira tous les amateurs de cinéma de légendes. En nous faisant passer derrière l’écran, elle nous permet d’admirer le travail de Fritz Lang et de tout ceux ayant participé à l’aventure et de comprendre pourquoi ce chef d’œuvre du cinéma a déclenché haines et passions restant malgré un scénario discutable un exemple du genre. Courrez-y vite !!!
Jusqu’au 29 janvier 2012
Cinémathèque Française – Musée du cinéma 51 rue de Bercy, 75012 Paris
Informations 01 71 19 33 33
Du lundi au samedi (sauf fermeture mardi) : de 12h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 22h. Dimanche : de 10h à 20h
Marie-Odile Radom
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