Derek Hudson, le photographe et les créateurs
« Créer, c’est divin, reproduire c’est humain. » Man Ray
Dans le cadre de ses expositions Hors Les Murs, Polka Galerie continue sa collaboration avec le Salon du Panthéon, lieu unique entièrement décoré par Catherine Deneuve et Christian Sapet. Jusqu’au 31 Janvier 2012, ce loft de 150 m² avec sa terrasse chauffée est une fenêtre ouverte sur le travail du photographe anglais Derek Hudson à travers une exposition intitulée Le photographe et les créateurs.
Situé au premier étage du Cinéma du Panthéon, ce restaurant-salon de thé cosy vous accueille dans une ambiance chaleureuse donnant l’impression d’être chez soi. Et se révèle être un lieu parfait pour admirer le travail d’artistes dans un cadre original, confortablement installé dans de larges canapés ou consultant de magnifiques livres sur le cinéma.
Depuis le 22 Septembre 2011, l’artiste Derek Hudson a investi les lieux pour nous faire partager son univers dans un cadre intimiste se séparant en deux espaces distincts se rejoignant pourtant. La mode, ses coulisses et les artistes-créateurs, véritables icônes que Derek Hudson a côtoyés tout au long de sa carrière de photojournaliste et de photographe investissent un mur du salon.
Son pays d’adoption le Maroc et bien sûr Tanger, les voyages et son travail de photojournaliste habillent le mur lui faisant face. Chacune de ces deux facettes donnent certaines des clés qui permettent de comprendre l’artiste. Pas toutes car Derek Hudson ne nous donne à voir que ce qu’il nous autorise à percevoir de lui, laissant la place à son sujet avec beaucoup d’humilité. On reste ébloui par le souci du détail qui transparaît dans chacun de ses clichés. Au premier coup d’œil, on ne remarque pas tous les détails, puis au fur et à mesure, ils viennent à notre conscience comme une évidence et nous happent.
Ainsi, les fameuses mains de Pierre Soulages immortalisées en noir et blanc en 2006 définissent l’essence même de l’artiste. Burinées mais soignées, on sent la puissance de création dans ses mains offertes. De mains, elles se métamorphosent en un puissant portrait du maître et se suffisent à elles-mêmes. Derek Hudson n’aurait pas pu faire de meilleur portrait du peintre qui en toute confiance s’est livré.
Et c’est justement ce qui fait la force de sa photographie. Derek Hudson sait instinctivement voir ce qui définit le mieux un artiste et en tire le meilleur parti pour faire de magnifiques portraits. Également photojournaliste de talent, il a découvert la photographie enfant comme on découvre au fur et à mesure une femme. Ce fut pour lui une vraie rencontre amoureuse au fil des pages du Daily News qu’il feuillette enfant. Et cette histoire d’amour née dans le cœur d’un enfant passionné s’est renforcée au cours de ses voyages et de ses rencontres.
Derek a côtoyé très tôt les créateurs dans sa carrière : Hockney, Koons, Pietragalla, Saint Laurent, Soulages, Bacon, Matisse ou encore dans les coulisses des défilés de mode. Il reçoit très vite le prix du Meilleur jeune photographe de l’année quand il commence comme indépendant dans les divers titres de Fleet Street, lieu de rassemblement de la presse londonienne. Il couvre pour le London Sunday Times Magazine, les conflits en Irlande du Nord, en Amérique Centrale et au Moyen Orient avant de s’établir à Paris pour une courte période puis de prendre New York comme base.
Arrivé aux Etats-Unis, il devient un des photographes permanents du prestigieux Life Magazine et collabore avec les plus grands titres internationaux comme Stern, Paris Match, The Sunday Times, Newsweek ou Time. Il a reçu le prix World Press à deux reprises, le prix American Art Directors Association pour l’excellence de son travail et d’autres récompenses photographiques.
A l’occasion du vernissage de cette exposition, nous avons pu rencontrer le photographe qui s’est confié tout naturellement sur une carrière hors du commun.
Tout d’abord merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Cette exposition est magnifique. Chaque cliché semble être une étape importante ou plutôt marquante dans votre parcours. La photographie La chambre de Matisse est troublante car elle ressemble vraiment à un tableau.
Cette photographie a une belle histoire. Elle a été prise lors d’un reportage à Tanger avec l’écrivain Jacques Maigne pour le magazine Géo. Nous suivions les traces des créateurs passés à Tanger, de ceux qui font partie de la grande histoire de la littérature et de la peinture comme Alexandre Dumas ou Henri Matisse.
Nos pas nous ont mené vers le Grand Hôtel Villa de France. L’hôtel était en ruine depuis très longtemps. Nous avons du soudoyer le portier pour visiter la chambre dans laquelle Matisse a peint Vue sur Tanger. Nous étions bouleversé par cette chambre dans laquelle le célèbre peintre a créé certaines de ses œuvres les plus fortes. Quelques semaines plus tard, la chambre et l’hôtel ont été détruits.
Cette fenêtre sur le monde est un peu comme une porte du passé qui s’ouvre sur le présent.
C’est cela. L’exercice prenait tout son sens car c’est de cette fenêtre qu’a été observée la vue sur Tanger que le peintre a retranscrit dans ces toiles. Je me suis rapproché un peu de ce qu’il a ressenti en regardant la ville par cette fenêtre et en l’immortalisant.
Dans votre travail, il y a des souvenirs de voyages plus récents et des portraits d’artistes, de créateurs plus précisément. Ainsi sur le mur faisant face aux photographies de voyage, on sent qu’on est en présence d’un artiste posant son regard sur d’autres artistes.
Il y a notamment ce superbe cliché de Francis Bacon presque hypnotique où l’artiste trône devant une toile qui contient un autre portrait, celui de son ancien compagnon George Dyer.
Il y a une importante relation entre le portait dans la toile et le visage de Francis Bacon. Ce portrait dans la toile est celui de son ancien amant qui a disparu quelques années auparavant. Un triangle se forme entre le portrait, Francis Bacon et le tableau. Pourquoi cette photo est une bonne photo ? C’est probablement lié à cette histoire de composition en triangle mais je ne peux pas dire pourquoi j’en suis arrivé à cette composition très forte.
David Hockney n’était pas facile d’accès et pourtant vous avez réussi à le montrer détendu dans son atelier parisien en plein processus de création alors que vous étiez jeune photographe. Vous avez su saisir son essence et pourtant on sent une pointe de défi derrière son regard légèrement amusé.
J’avais à l’époque la naïveté du jeune photographe qui prenait des photographies simples sans aller chercher autre chose. Il terminait le portrait de ses parents. J’avais 24 ans à l’époque et je ne connaissais pas son travail avant de le rencontrer à Paris.
En dehors des voyages et des visites dans le monde entier, être photographe c’est d’abord faire un travail sur soi. On a la grande chance de pouvoir rencontrer des gens qui impressionnent beaucoup de monde dans un contexte totalement différent. On doit créer une relation même si ça doit durer quinze minutes. On doit créer quelque chose pour faire la photo. On va juste saisir un instant.
Vous avez photographié peu de musiciens. Existe t’il une raison particulière ?
J’ai photographié des musiciens comme Mick Jagger, Sting, Bob Dylan ou encore Tom Waits. Mais je pense que je préfère plutôt les écouter que les photographier. J’ai probablement plus d’affinités avec les peintres qu’avec les musiciens.
La photographie du bureau d’Yves Saint-Laurent est probablement l’un des clichés les plus émouvants et l’un de ceux qui représente le mieux ce qu’était le grand couturier. On y retrouve son univers intime avec des objets personnels qui ont compté pour lui comme son portrait dessiné par Jean Buffet et surtout cette photographie de Catherine Deneuve, son égérie, qui trouve un très fort écho dans le salon du Panthéon décoré par elle.
Yves Saint-Laurent avait certainement le bureau le plus modeste que je connaisse. Il n’était composé que d’un simple plateau posé sur deux tréteaux. Et derrière son bureau, les choses qu’il affectionnait, ses gris-gris comme les photographies de personnes comme Jean Cocteau ou Catherine Deneuve, son égérie. Il n’était pas prétentieux.
Et tous naturellement, il y a les photographies des coulisses de défilé.
Les coulisses sont très intéressantes alors que les défilés ne le sont pas. Les vêtements étaient plus intéressants auparavant avec une grande élégance. J’aurais adoré être photographe de mode à cette époque. Il y a quelques années, il y avait une ambiance très particulière dans la mode. Regardez cette fille, elle ressemble à une statue romaine.
Mais revenons à vos photographies de voyage. Cette photographie des réfugiés roumains fuyant, en train, l’insurrection de Ceausescu en Roumaine en 1989 est troublante. On imagine une histoire un peu tragique derrière tant le regard des voyageurs est tendu.
Il y a un côté tableau dans cette photographie qui a été prise lors de la révolution à Bucarest. Les voyageurs fuyaient les événements tragiques. Le train s’est arrêté dans une petite gare de campagne et les voyageurs se sont mis à regarder par la fenêtre. Je pensais au départ que le train était vide.
Deux tendances se détachent de cette exposition. Vous utilisez le noir et blanc pour saisir des moments alors que la vie elle-même est en couleurs.
Je ne suis pas un photographe qui aime les couleurs. J’aime les couleurs un peu tristes, monochromes, pas trop éclatantes. J’aime les couleurs mélancoliques car au fond de moi, je suis mélancolique. Au travers de ces photographies, je me retrouve et j’exprime mes sentiments personnels avec les couleurs.
Après toutes ces années, que représente le métier de photographe pour vous ?
Un photographe doit rester simple et modeste. On doit se mettre en retrait. La photographie est un métier de modeste. Être timide m’a aidé à ne pas arriver avec un égo démesuré dans ce métier.
C’est là une bien belle définition. Nous vous remercions de nous avoir accordé quelques minutes de votre temps.
Cette magnifique exposition nous permet d’admirer un artiste à la fois photojournaliste et photographe qui excelle dans le portrait, sachant saisir l’essence d’un créateur pour en faire un portrait se rapprochant au plus juste de l’artiste, quand il ne témoigne pas au travers de ses voyages de la situation d’un monde en perpétuelle mutation.
Artiste complet et humble, il sait nous faire partager son univers à travers son propre langage, celui de la photographie. Et nous le comprenons mieux que quiconque.
Exposition Derek Hudson Le photographe et les créateurs
Salon du Panthéon
13, rue Victor Cousin – 75005 Paris
Horaire : Du lundi au vendredi de 12h à 18h30
Entrée libre
Image à la une : © Derek Hudson David Hockney Paris 1997 – Courtesy Polka Galerie
Marie-Odile Radom
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