La photographie inspirée d’Isabelle Chapuis
Dès lors qu’une émotion ou qu’un fait est traduit en photo, il cesse d’être un fait pour devenir une opinion. L’inexactitude n’existe pas en photographie. Toutes les photos sont exactes. Aucune d’elles n’est la vérité. » Richard Avedon
L’exposition Picto, regards croisés sur 60 ans de photographie, proposée à l’hôtel Royal Monceau Paris – Raffles jusqu’au 08 octobre 2011, est également l’occasion de découvrir le travail d’Isabelle Chapuis, lauréate du Prix Picto de la jeune photographie de mode en 2010. La sélection de photographies, toutes orientées vers la même quête esthétique, propre à l’univers de la mode, nous offre une formidable promenade dans l’univers de la jeune photographe dans la Galerie Transversale de l’hôtel.
Diplômée de l’ESAG-Penninghen en arts graphiques, Isabelle Chapuis exerce le métier de photographe avec un réel parti pris : celui de la lumière continue. Proposant un travail de qualité, la jeune photographe aime peu retravailler ses photos après production et se concentre au maximum sur la direction artistique pour exprimer ses intentions, ne négligeant aucun détail lors de la prise de vue.
Isabelle Chapuis ne se voit pas comme une photographe de mode à proprement parlé, bien que cette discipline lui apparaisse comme un « réel terrain de jeu créatif qui autorise toutes les excentricités formelles et narratives« . Son art se partage entre mode et reportage. De cette richesse naît une nouvelle photographie dans laquelle elle conjugue l’une et l’autre, recherchant l’esthétisme dans le reportage tout en ajoutant un axe narratif à ses séries de mode.
Souhaitant au maximum s’affranchir des codes habituels de la photographie de mode, elle définit ainsi son style qui n’est pas sans rappeler la démarche créative de grands photographes tels que Richard Avedon pour le dynamisme des photos et l’approche narrative, ou Irving Penn pour son attachement à la qualité de la lumière.
L’exposition débute par une série de clichés issus de la série Exode, récompensée par le Prix Picto et emblématique, à mon sens, de son style entre reportage photographique et éditorial de mode. Halo lumineux maîtrisé, mise en scène narrative, sens de la composition, de l’esthétisme et du mouvement et choix judicieux des couleurs sont autant de raisons d’admirer les clichés de la jeune photographe.
Exode, dont la direction artistique a été partagée avec Anja Kocovic, est née de la réaction d’Isabelle Chapuis à un article sur des réfugiés africains parus dans le Monde 2. Nomades forcés, pérégrination, distance parcourue, perte des repères, dépossession et détachement sont les mots qui lui viennent alors à l’esprit posant les prémices de la série.
Ce parcours d’un voyageur silencieux dans un paysage, qu’il ne peut que traverser et dans lequel il n’a aucun endroit pour s’arrêter, est particulièrement réussi. Le personnage albinos s’est imposé de lui-même, comme une allégorie de la négation de soi, détaché du monde et hors du temps, n’ayant aucune identité à laquelle se rattacher mais dont la personnalité est façonnée par les vents érodant les rochers et sculptant les dunes.
Cette série, sorte de traversée du désert mise en image, est une épopée entre quête d’identité et perte de soi. Mais elle va bien au-delà. Au premier abord, on est troublé ne sachant pas si on est en présence d’un reportage photographique ou d’une série de mode tant le sujet est fort. Puis en observant de plus près, la solitude du personnage transparaît comme s’il était alors dans une quête personnelle. Et c’est bien le propos de cette série. Exode, du grec ex “au-dehors” et hodos “la route”, est à la fois un questionnement sur la quête d’identité mais également une affirmation de l’identité photographique de la jeune femme.
L’exposition se poursuit avec quelques clichés de la série Projections. Isabelle Chapuis a réalisé cette série entièrement en lumière continue effectuant un véritable travail sur les ombres. Elle montre ainsi toute sa maîtrise de la lumière continue multipliant les effets donnant ainsi une couleur à sa série.
L’artiste joue ici sur la lumière et les couleurs n’hésitant pas à utiliser des teintes fortes telles que le vert, ou encore le violine. Les contrastes sont forts. Utilisant une lumière projetée, chaque photo explore la dualité ombre et lumière, sujet et son ombre, noir et blanc. Le mannequin adopte des attitudes figées se rapprochant ainsi du mannequin de vitrine. La lumière projetée crée une autre réalité qu’il convient d’explorer nous offrant formes et couleurs différentes.
La démarche créative d’Isabelle Chapuis est sans bornes comme elle nous le montre à travers la série Cocon. Les compositions sont magnifiques avec un souci du détail frôlant la perfection. Un collant de couleur chair est intégré dans la mise est scène créant un effet évanescent totalement inattendu. Les détails foisonnent nous offrant plusieurs degrés de lecture, aussi bien en pleine lumière que dans l’ombre.
Tel un cocon entourant une chrysalide, le collant protège le mannequin en devenir qui apparaît les yeux fermés comme endormie la tête dans son cocon de chair, la chevelure cotonneuse. Puis le collant disparaît petit à petit laissant apparaître le mannequin, revenue à la vie, dans toute sa splendeur avec sa chevelure flamboyante et ses lèvres roses.
Les couleurs frappent en opposition avec le grain de peau très pâle presque fantomatique du mannequin, nous démontrant tout le savoir-faire de la photographe pour restituer les couleurs qu’elle aime intenses. A peine un morceau de bas sur les mains nous rappelle le cocon originel.
L’exposition nous permet d’admirer également quelques clichés de la série Renaissance rendant hommage à une fête indienne très prisée : Holi la fête des pigments qui a lieu en Inde à l’équinoxe de printemps. Des mannequins aux traits fins et pâles sont bariolées de pigments dont l’intensité est parfaitement restituée. Les contrastes sont saisissants tant on peut distinguer jusqu’au moindre grain bleu sur la peau des mannequins. L’artiste nous fait profiter de son sens de la mise en scène avec une photographie qui nous happe dans un nuage de pigments dont le mouvement est figé dans le temps.
Grâce à l’exposition Picto, regards croisés sur 60 ans de photographie, le talent de la jeune photographe Isabelle Chapuis est mis à l’honneur. Chaque photographie représente une composante de son style faisant la part belle à la lumière continue et nous ouvre les clés de l’imaginaire d’une jeune photographe bien ancrée dans son époque et très inspirée.
Art District – Le Royal Monceau Raffles Paris
41, avenue Hoche 75008 Paris
Exposition visible jusqu’au 8 octobre 2011, du mardi au samedi, de 11 heures à 22 heures (entrée libre)
Marie-Odile Radom
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