Congés Payés à la Galerie 64bis
« Sous les pavés, les congés payés. » Anonyme
Le mois de juillet est là, le soleil est au rendez-vous et la période tant attendue pour bon nombre de travailleurs débute : les congés payés, signe de détente et de voyages. C’est aussi le thème choisi par la Galerie 64bis pour nous emmener tout doucement vers le mois d’août, comme un avant-goût de farniente et de plénitude.
Jusqu’au 29 juillet 2011, la Galerie 64bis nous propose une exposition collective illustrant les Congés Payés à travers l’univers de sept artistes : Jessica Craig-Martin, Claire Fontana, Marc-Antoine Goulard, Renaud Muraire, Arnaud Sabot, Ryan Schude et Xiao Zhang et nous invite, par la signification ou le mode d’élaboration des œuvres exposées, à quitter un moment le rythme de vie trépidante du citadin pour nous plonger dans la douce torpeur de l’été.
L’exposition Congés Payés nous permet d’admirer le travail du dernier lauréat du prix HSBC 2010 Xiao Zhang, jeune photographe chinois de 30 ans. Sa série Coastline nous offre une vision intimiste et passionnante de la Chine contemporaine à travers des clichés pris le long des 18 000 kilomètres de côtes qui mènent de l’estuaire du fleuve de Beilun au sud à celui de Yalu, au nord.
Passionné par la mer depuis l’enfance, Xiao Zhang nous révèle une côte à la fois « belle et douloureuse » à l’aide de scènes de la vie quotidienne, prises à l’improviste mais avec un sens évident de la composition, telles de minuscules fenêtres de la Chine sur un monde extérieur. La mer est un nouvel Eldorado pour de nombreux Chinois quittant les campagnes pour arriver en masse vers les bords de mer, en quête de travail et d’une vie plus facile. Mais ce sont des paysages ravagés par une urbanisation anarchique et galopante qui les accueillent.
Les contrastes sont saisissants, les personnages ont presque tous des attitudes de vacanciers mais ce n’est que quartiers en construction et parfois désolation autour d’eux : ici, un homme torse et pieds nus endormi sur un matelas entouré de gravats, là une jeune femme prenant la pose en lunettes de soleil et micro-robe juchée sur un gros caillou sur fond de grues de chantier ou encore des vacanciers en maillot coloré batifolant dans l’eau avec en arrière-plan un parachute ascensionnel. Mais tout reste terne et sombre autour.
Le travail d’Arnaud Sabot est radicalement différent et s’inspire de l’impressionnisme. Ses photographies devenues toiles tirées des séries Errances et New-York font susciter des émotions, comme le feraient des souvenirs de vacances. « Mon travail est la mise en réel (en images) de mes réflexions, interrogations, et sentiments. (…) Dans notre univers, l’image est omniprésente, et sa « pureté » n’est pas un gage de réalité car les détournements sont légion. Alors j’entre dans mes photographies… » nous apprend-il.
Pour explorer la capacité révélatrice de ses négatifs, Arnaud Sabot les travaille voire les torture en leur faisant subir toutes sortes de traitement (eau, terre et feu) pour obtenir un vieillissement similaire aux outrages du temps. Il retravaille également le tirage en y apposant des tâches de peinture ou en les coloriant. Ces photographies deviennent alors des souvenirs tirés d’un album de voyage ayant subi l’outrage du temps et du contact, souvenirs diffus parfois confus mais toujours des souvenirs forts de moments, d’émotions ressenties qui peuvent être violentes. Sur certaines toiles comme par exemple Commune – photo de panneau de camping – le tirage est coloré mais contient des blessures comme si la toile avait été abîmée.
D’autres sont couvertes de peinture comme Le Petit Chaperon Rouge peinturlurée en orange. Les souvenirs ont une seconde vie et subissent également les outrages de la mémoire. La Statue de la liberté est entourée dans la Française. Times Square, à l’image du quartier, est une explosion de couleurs en mouvement perpétuel. Le photographe a parfaitement retranscrit l’émotion qu’on peut ressentir dans ce quartier. Sa dernière toile A la folie est la retranscription de l’apocalypse.
Renaud Muraire étudie la représentation et l’image de la femme contemporaine, fer de lance d’une société qui la célèbre et théâtralise son apparence par le biais d’œuvres qui, à leur façon, rappellent le Pop Art. La série « Messagères » associe des stéréotypes comportementaux tels que la joie ou l’espoir à des messages incongrus afin d’analyser l’interchangeabilité de l’image de la femme, qui ne doit sa visibilité qu’à la beauté éphémère de ses expressions, dans un environnement de consommation.
Lorsqu’on s’attarde sur ses œuvres, on s’aperçoit qu’il existe un décalage entre le message et l’expression du sujet alors que la composition même des tableaux reste classique, basée sur une association entre visage et rédactionnel. L’information est alors réinterprétée et le spectateur reprend conscience de la sollicitation commerciale à laquelle il est soumis.
Ainsi dans Save Water, Renaud Muraire nous peint un visage de femme rayonnante au sourire éclatant éclaboussée par de l’eau. Le slogan – Save Water – est alors en pleine contradiction avec la scène puisqu’il nous intime d’avoir une attitude plus responsable avec l’eau.
Ryan Schude, photographe américain vivant et travaillant à Los Angeles, est un artiste de la peinture photographique. Ces photographies au grain très net sont de véritables tableaux narratifs avec un sens de l’humour certain, les personnages agissant souvent de manière complètement décalée. Il ne se contente pas de retranscrire un réel figé dans l’instant mais plutôt donne vie à des situations complètement imaginaires. Ses œuvres témoignent alors de la réalité des éléments employés et de lieux existants, tout en faisant état d’une irréalité due aux actions représentées et à l’insistance des expressions propres à chacun.
Photographe de spectacle vivant, le sens de la mise en scène de Ryan Schude est sans commune mesure, entre photographie cinématographique et peinture photographique. Les éléments représentés et le choix de l’angle de prise de vue sont décidés à l’avance puis réunis afin d’articuler une idée préconçue. Sélectionnant ses personnages, il attend que les gens soient en place et commencent à les shooter. Il ne conserve à chaque fois que la meilleure prise.
Son impressionnante maîtrise de la lumière, des ombres et de la couleur lui permettent de mettre en avant une quantité folle de détails, qu’on prend plaisir à découvrir centimètre par centimètre. Chacun de ses personnages a son propre éclairage et peut être pris indépendamment des autres. Sa photographie devient alors chorale et se définit sous la forme d’une multitude de petites situations à découvrir au fur et à mesure, où chaque scène a une vie propre et s’articule parfaitement avec les autres.
Dans Bago, mettant en scène des vacanciers autour d’une caravane, chaque personnage a un comportement totalement indépendant mis à part les 3 enfants qui agissent selon leurs propres règles. Untitled est sans aucun doute l’une de ses toiles contenant le plus de détails, les personnages sont tous indépendants les uns des autres autour de cette piscine.
Party animals, Renovation complète, New Jeans et New Pool de la photographe Jessica Craig-Martin, extraites de sa série Privilèges, illustrent le thème des congés mais parmi les personnages de la haute société. Elle nous offre la possibilité de les observer de l’intérieur comme si nous étions les dignes spectateurs de ce spectacle. Elle met en lumière et accentue la caricature d’un monde prétendument merveilleux, où la férocité des gros-plans coupés révèle l’œil acéré et plein d’authenticité de l’artiste pour une réalité grotesque de la haute société, un théâtre des apparences où les codes sont légion.
Derrière les robes de grands couturiers et les parures de haute-joaillerie se cache une triste réalité : loin de l’apparence idéale des mannequins des magazines, les femmes se révèlent telles qu’elles sont avec leurs imperfections et leurs corps imparfaits. Ces instantanés – morceaux de corps dansant, repos près d’une piscine derrière laquelle l’image de fêtes somptueuses dans d’immenses propriétés apparaît – révèlent le côté animal se cachant en chacun d’eux et de nous par extension, comme l’explique l’artiste : « Underneath everything, we’re all just animals. »
Mais loin d’être une satire totalement cynique, derrière cette loupe montrant le côté presque vulgaire des choses, Jessica Craig-Martin nous offre un regard compatissant, pour nous faire comprendre que l’excès de superficialité ne masque en aucun cas les défauts humains. Bien au contraire, il ne fait que les rendre plus apparents.
Les bronzes de Claire Fontana semblent figer dans le temps les sauts des nageurs quelques instants avant le moment fatidique, celui où ils vont s’élancer dans ces fragments de mer. Les sculptures de l’artiste s’attachent à fixer les figures tendues par la force du mouvement, les états intérieurs et spirituels où transparaît le recueillement qui précèdent les grands moments.
Dessinatrice, sculpteur et peintre formée entre la France et l’Italie, Claire Fontana propose une sculpture complexe empreinte de classicisme auquel elle ajoute des éléments de modernité. Son style profondément lié à celui de la Renaissance italienne utilise les canons formels de la représentation des corps mais surprend par les émotions qu’elle cherche à exprimer, trahissant une recherche de paix intérieure profonde qu’elle restitue toujours par bribes.
Marc Antoine Goulard prend le parti pris d’utiliser les formes les plus simples pour exprimer les émotions les plus complexes. Son style explore la relation intime entre la nature, l’art et les idées modernes de la composition musicale. Ses peintures à l’huile de la série De la Terre aux Cieux sont inspirées par la nature, tout en dégradés de bleus et de gris. Mais loin de recréer clairement un paysage sur toile, ces tableaux sont plutôt l’expression de l’idée de paysage et sont remplis de l’énergie qu’il a distillé au fur et à mesure de l’élaboration du tableau. L’artiste, concertiste de formation, crée ses toiles à la manière d’un compositeur, mettant en musique des dégradés de bleus qu’il jette au couteau sur la toile, créant parfois l’illusion d’une matière, de gouttes.
Stimulé par la lumière, la forme et les émotions, Marc Antoine Goulard révèle à travers ses toiles un sens de l’abstraction percutant. Les couleurs changeantes et le réseau subtil des ombres et des lumières qui transparaissent à travers les couches véhiculent un sens de l’atmosphère et de la tension qui attire le spectateur vers le mystique. Soumis à une expérience visuelle de toute beauté, le spectateur effectue alors un voyage émotionnel intérieur dépendant de son vécu bien sûr, mais un voyage certain.
Congés payés, vacances, détente, loisirs, dépaysement, villégiature, douceur de vivre, laisser aller, les mots sont infinis pour décrire cette période de l’année tant attendue. La Galerie 64bis à travers l’exposition Congés Payés a choisi de nous montrer que les congés payés étaient d’abord l’occasion d’un voyage intérieur, vers des souvenirs, des émotions et des sensations, ce qui est, après tout, la définition du voyage.
Galerie 64bis, 64bis avenue de New-York 75016 Paris
Ouvert du Mardi au Vendredi 9h30-12h30 / 14h-18h30
Lundi et Samedi sur rendez-vous.
Crédit photos : with the courtesy of Galerie 64bis
Marie-Odile Radom
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