» Madame Grès, la couture à l’oeuvre

Madame Grès, la couture à l’oeuvre

Madame Grès, la couture à l’oeuvre

« La perfection est l’un des buts que je recherche. Pour qu’une robe puisse survivre d’une époque à la suivante, il faut qu’elle soit empreinte d’une extrême pureté. »  Germaine Krebs dite Madame Grès

Pour sa première programmation hors les murs, le Musée Galliera nous offre jusqu’au 24 Juillet 2011, au Musée Bourdelle, la première rétrospective d’une grande dame de la couture : Germaine Krebs plus connue sous le nom de Madame Grès. Bien qu’elle ait été toujours admirée par ses pairs de son vivant parmi lesquels Yves Saint-Laurent, la dame au turban – accessoire qu’elle arborait en toutes occasions – reste peu connue du grand public.

Madame Grès par Crespi Femina, avril 1949, p.60. Crespi, photo extraite de Femina

L’exposition Madame Grès, la couture à l’œuvre, très riche, est l’occasion de découvrir le parcours époustouflant d’une grande dame de la couture qui a accompagné, lorsqu’elle ne les a pas devancés, toutes les évolutions et révolutions de la mode parisienne durant six décennies ; et qui a disparu dans le plus grand secret en novembre 1993.

80 pièces sont exposées provenant pour la majorité du Musée Galliera et de collections privées, une cinquantaine de photographies originales ainsi qu’une centaine de croquis obtenue grâce au mécénat de la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent peuvent également être admirées. Une vidéo est également projetée permettant d’entendre la voix de cette grande dame qui goûtait peu aux interviews.

 

Automne-Hiver 1952-1953 Robe du soir. Jerseys de viscose blanc et gris. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Violle

Germaine Émilie Krebs vit le jour le 30 novembre 1903 , dans le 17ème arrondissement de Paris. Malgré son souhait de devenir sculpteur, elle se tourna vers la couture qu’elle apprit en trois mois à dix sept ans auprès de la première d’atelier d’une grande maison de couture. Après diverses expériences lui permettant de parfaire son art, elle créa en 1933 avec Julie Barton la Maison Alix Barton,  au 8, rue de Miromesnil, Mademoiselle Alix étant son surnom de l’époque.

 

Robe du soir fourreau. Jersey de viscose noir. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet

Dès l’été 1933 apparaissent les caractéristiques principales du style Madame Grès avec des drapés à plat avec le moins de couture possible, des robes de jour élaborées selon les mêmes techniques que les robes du soir et l’utilisation de tissus innovants tels que les lainages tissés à la main. Durant cette période naît l’une de ses pièces les plus emblématiques : un fourreau dos nu avec un décolleté en triangle dont la base repose sur les reins.

Alix réalise en 1935 les costumes de La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux mis en scène par Monsieur Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée. Ses tenues drapées rencontrent alors un vif succès, la critique proposant même de porter à la ville ses drapés à l’antique. En avril 1937, elle épouse le peintre russe Serge Anatolievitch Czerefkow, dit Grès (anagramme de son prénom). Suite à un désaccord avec la Maison Alix, elle crée sa propre maison de couture Madame Grès au 1, rue de la Paix en 1942.

Alix. Modèle de la collection Automne 1935 © Boris Lipnitzki / Roger-Viollet

Dès lors, son style s’affirme dans des drapés somptueux en jersey de soie – qu’elle eut l’ingénieuse idée de commander aux fabricants – aux airs classiques proches des tenues de la Grèce Antique ou orientaux inspirés aussi de la technique de l’origami japonais : « Quand j’ai commencé à faire des robes drapées, je ne me suis inspirée de rien… Le hasard m’a fait découvrir le jersey de soie. Il m’a intéressé dès le jour où j’ai pu le manier. » Elles sont toutes confortables et faciles à porter.

1936 Madame Grès créant une robe du soir pour Macy’s, Paris. © Boris Lipnitzki / Roger-Viollet

Sa création emblématique : le pli Grès, lourd et souple, avec lequel elle réalise des robes d’inspiration antique aux drapés ingénieux et audacieux, n’entravant pas les mouvements du corps. Le mannequin est drapé dans la pièce de tissu, Madame Grès étudie le rendu et coupe, phase la plus critique et très délicate. Les plis plats sont formés à même le modèle, pris dans le droit fil tous les 3 cm, pendant la construction de la robe à , puis sont cousus à l’envers sur une profondeur constante de 1,5 cm dépassant de 2 mm à l’endroit. Elle réduit ainsi une pièce de tissu de 2,80 m à 7cm , grâce à ses fameux plis.

Printemps 1944 Robe d’intérieur. Jersey de soie (?) bordeaux, doublure en taffetas de fibres artificielles rouges. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet

Passionnée par le jersey (de soie ou de laine), Madame Grès l’a modelé à même la silhouette, en créant des robes asymétriques en drapés et plissés ou des robes en volume quand elle travaille le taffetas. Pendant plus de six décennies, elle se concentre sur la coupe et sa relation au corps. Le style est minimaliste et terriblement moderne, le tissu accompagnant les mouvements du corps, les coupes sont fluides. Les tailles sont fines et délicatement soulignées.

 

Printemps-Été 1946 Robe de jour. Jersey de laine vert, doublure en mousseline de soie écrue. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet

Les drapés ornent aussi bien les robes de jour que les robes de nuit ;  les plissés structurent corsages et jupes. Madame Grès n’a pas son pareil pour dompter les taffetas et les lainages, elle pratique les techniques tailleur avec une  maîtrise inégalée. Ses robes courtes de cocktail, à plis larges et pincés, sont profilées et légères. Ses tailleurs veste et jupe en flanelle ou en étoffes de costumes masculins sont délicats.  Saison après saison, les collections se succèdent avec une constante : le dépouillement pour des pièces uniques reconnaissables par leur pureté, l’apparente simplicité dissimulant l’extrême complexité de son art.

Vers 1965 Robe de cocktail. Jersey de viscose rose pâle, ceinture en cuir et deux queues-de-rat de la même couleur. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet

A partir de l’automne 1958, Madame Grès produit des vêtements de ville griffés Grès spécial, une ligne née de son union avec d’autres couturiers comme Lanvin ou Nina Ricci au sein de l’association Prêt-à-porter Création, association qui organisera jusqu’en 1962 des défilés. Elle lance un parfum nommé Cabochard en 1959. Coloriste de génie, Madame Grès est particulièrement douée pour les tonalités éteintes, étouffées ou parfois vives. Tons chauds, beige et faux blancs, noirs profonds composent une harmonie chromatique encore d’actualité.

Le 22 juin 1972, Madame Grès est élue à l’unanimité présidente de la chambre syndicale de la couture parisienne et reçoit en 1976  le premier Dé d’or de la Couture créé par Cartier. Ses robes ont été parmi les premières à sortir des carcans du studio froid et impersonnel pour vivre en extérieur. En 1980, elle lance sa première collection de prêt-à-porter. En 1982, elle cède la parfumerie puis, en 1984, la maison de couture à Bernard Tapie. La griffe est rachetée en 1986 par la maison Jacques Esterel, puis cédée en 1988 au groupe japonais Yagi Tsusho limited qui poursuit la création sous ce nom.

Le choix du Musée Bourdelle pour cette exposition peut sembler saugrenu mais il n’y a pas de meilleur endroit, près des sculptures, pour exposer les œuvres couture de Madame Grès : « Je voulais être sculpteur. Pour moi, c’est la même chose de travailler le tissu ou la pierre. » Le mélange entre les sculptures de Bourdelle et les vêtements de Madame Grès est saisissant de symbiose ! Les oeuvres de marbre ou de plâtre, les peintures et les pastels font furieusement écho aux beaux manteaux en lainage et aux magnifiques robes du soir en jersey. L’alchimie se crée, les modèles emblématiques au drapé antique se confrontant alors aux sculptures d’époque dans un formidable pas de deux.

Robe du soir Jersey de soie orange à étages asymétriques gansés de rubans en gros-grain marron clair, fond en crêpe de Chine café ©Maryophoto

L’Atelier d’Antoine Bourdelle, plein d’outils, devient dès lors atelier de couture exposant dans des vitrines l’œuvre aboutie, la pièce de mode ultime dans une mise en perspective avec les œuvres du sculpteur. De styliste, Madame Grès devient sculpteur tant ses modèles semblent procéder du même art.

Puis vient le moment ultime de l’essayage comme dans les coulisses de n’importe quelle maison de mode. Mais ici, point de buste Stockman froid, des silhouettes en bois articulées mettent en valeur des modèles intemporels. Les robes sont présentées sur des tabourets de bois comme si elles allaient subir une dernière retouche, un ultime réajustement.

Que serait une maison de mode sans quelques croquis de silhouettes ? L’exposition nous donne l’opportunité d’admirer un nombre impressionnant de croquis exceptionnels de la main de Madame Grès, prémices nécessaires à l’élaboration d’une collection.

©Richard Avedon - Sunny-Harnett en robe du soir Madame Gres

Riche en éléments de biographie, l’exposition rappelle aussi combien les œuvres de Madame Grès ont compté dans l’histoire de la photographie de mode. Elles furent parmi les premières à être photographiées en extérieur et mises en scène hors du studio photo. Quelques photographies d’éditoriaux pour Harper’s Bazaar ou encore Vogue nous sont présentés simplement sans fioritures. On admire le génie de ces photographes qui ont su humaniser plus que tout des tenues d’exception.

L’exposition Madame Grès : la couture à l’œuvre est une exposition à la scénographie harmonieuse et à ne pas manquer car elle permet d’admirer les robes de la maison Grès sous toutes les coutures (mais attention il ne faut pas les toucher) tout en effectuant un fabuleux voyage dans l’histoire de la mode parisienne. Riche en informations et en émotions, cette exposition est également l’occasion de découvrir le méconnu musée Bourdelle plein de poésie et de beauté. L’espace d’un instant, nous avons l’occasion de voir ce que peuvent admirer les statues de Bourdelle.

Commissariat :
Olivier Saillard, directeur du musée Galliera
Laurent Cotta, chargé de la création contemporaine
Sylvie Lécallier, chargée de la collection photographique

Musée Bourdelle
16 rue Antoine Bourdelle, 75015 Paris
Tél. : 01 49 54 73 73
www.bourdelle.paris.fr

Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h sauf jours fériés.
Tarifs d’entrée
Plein tarif : 7 €
Tarif réduit : 5 €
Tarif jeune (14-26 ans) : 3,50 €
Gratuit moins de 14 ans

Marie-Odile Radom

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