Alaïa au Palais Galliera, la passion d’une vie
« Une femme est comme une actrice : toujours en scène. Elle doit être belle et se sentir bien… Ses vêtements doivent être une part d’elle, elle doit les sentir sur son corps… Je préfère que les gens remarquent la femme et non ses vêtements. Son visage, son corps, ses mains – les vêtements qu’elle porte doivent l’habiller, mettre en valeur ses qualités et la rendre belle. » Azzedine Alaïa
C’est dans le palais d’inspiration Renaissance de la duchesse Galliera que le Musée de la Mode de la Ville de Paris fait revivre depuis 1977 l’histoire de la mode et du costume. A quelques mètres des plus prestigieuses maisons de couture de l’Avenue Montaigne, le Palais Galliera abrite l’une des collections les plus riches au monde, rassemblant plus de 100 000 vêtements et accessoires.
Conservées dans les réserves du Musée, ces pièces d’exception reflètent les codes de l’habillement et des habitudes vestimentaires de la France du XVIIIe siècle à nos jours. Extravagantes ou précieuses, elles sont avant tout le témoignage historique mais aussi sociologique du génie créatif de la mode à travers les époques, et cela jusque dans ses expressions les plus contemporaines.
En 2009, le musée entreprend des travaux de rénovation et de mise aux normes et doit fermer ses portes afin de retrouver son charme d’antan. Bien que fermé, il continue pourtant de rendre fidèlement hommage aux artisans du merveilleux, grâce à Olivier Saillard, historien de l’art et directeur du musée, qui choisit de mener une riche programmation hors les murs en France et à l’étranger pendant toute la durée des travaux.
Après quatre années de travaux, le Palais Galliera retrouve de sa superbe et rouvre enfin ses portes en septembre 2013 en mettant à l’honneur dans son exposition d’ouverture le talent incomparable de l’un des plus grands couturiers de notre époque : Azzedine Alaïa.
Présentée dans les galeries rénovées du palais ainsi que dans la salle Matisse du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, la première rétrospective parisienne dédiée au couturier propose une sélection de soixante-huit modèles iconiques exposée dans une scénographie sobre et épurée confiée au designer Martin Szekely.
L’exposition, riche en pièces rares, retrace brillamment le parcours créatif d’un couturier qui n’a jamais sacrifié son talent sur l’autel du commerce, et qui depuis près de 50 ans, ne s’est attelé qu’à une seule tâche : magnifier le corps des femmes en leur sculptant des robes d’exception.
En véritable artisan de la mode, Azzedine Alaïa est un couturier atypique. Entièrement dévoué à son noble art, il refuse le diktat du calendrier des collections et avance à son propre rythme. Se laissant le temps de concevoir ses créations, il n’accepte de les présenter que lorsqu’il les juge parfaitement abouties, préférant les vêtements qui durent à ceux qui s’éteignent avec les saisons.
Maîtrisant parfaitement toutes les étapes de la réalisation d’un vêtement, Alaïa est bien plus qu’un créateur, il est un dompteur de matières. Modelant à l’extrême les tissus les plus difficiles pour les révéler à eux-mêmes, il n’en conserve que l’élégance et le maintien.
Devenus aussi souples que la plus délicate des dentelles, le cuir, la mousseline, le métal et la maille se font seconde peau et deviennent les plus belles des parures par le truchement d’un sensuel jeu de coutures complexes.
Né à Tunis, Azzedine Alaïa ne se destinait pourtant pas à la mode et étudie la sculpture aux Beaux-Arts de Tunis. Pour financer ses études, il exécute de petits travaux de couture chez une couturière de quartier puis est ensuite engagé chez Madame Richard, une couturière française qui duplique les créations Haute Couture de Paris pour une clientèle tunisienne.
De sa formation aux Beaux-Arts, Alaïa conservera ce goût pour la morphologie, cette obsession du corps privilégiant la structure et les courbes. Ainsi sa confection se doit d’épouser les formes du corps, de les mettre en valeur : « Quand je travaille le vêtement, il faut que ça tourne autour du corps, de profil et de dos« .
La taille est souvent marquée, l’épaule se fait essentielle et la cambrure des reins divine. Les zips tracent leur chemin autour des robes enlaçant les courbes dans la plus douce des arabesques, les oeillets percent les manteaux, les piqûres soulignent le galbe. Les robes fourreaux taillées en biais dans le crêpe, le satin ou la maille fascinent, les drapés donnent le vertige.
Les incontournables du couturier sont ainsi exposés au Palais Galliera sur des formes en plastique transparent à peine éclairées d’une douce lumière qui laisse le palais dans une relative pénombre. Chaque création semble être portée par une femme invisible humblement posée sur une estrade noire, accompagnée des mots d’Olivier Saillard, son ombre se projetant presque involontairement sur les murs rouges sombres.
Telles de sublimes sculptures offertes à la contemplation, ces magnifiques et délicates réalisations se présentent sans artifice devant nos yeux émerveillés. La qualité du tissu explose, la perfection des coutures se révèle et on ne peut s’empêcher d’admirer ce travail minutieux et sculptural qui sublime la femme, ce travail qu’on pourrait presque toucher du regard tant les créations nous sont présentées sans entrave.
A chaque vêtement, l’image furtive des déesses qui les ont portés se fait de plus en plus précise. On retrouve les robes zippées créées en hommage à Arletti et les fourreaux portés par la plus sculpturale d’entre toutes : Naomi Campbell. Les robes en cuir ou en peaux sont magnifiées, les robes à cagoule façonnent une nouvelle morphologie et les zips semblent tenir dans un souffle la structure même de la robe.
Huit silhouettes sont par ailleurs installées dans la salle Matisse du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris voisin. Posées sur des estrades blanches, elles dialoguent de la plus belle des manières avec deux oeuvres du peintre exposées La Danse ou Lutte des nymphes et La Danse inachevée en partageant les couleurs et la précision.
Pour célébrer sa réouverture, le Musée de la Mode de la Ville a décidé de rendre hommage à un couturiers les plus respectés de notre époque. Dans une scénographie épurée rendant à la fois hommage à la perfection et l’exigence d’un travail minutieux mais aussi à la magnificence retrouvée du Palais Galliera, la force et le talent d’un des maîtres de la couture transparaissent dans toute sa splendeur.
Avec cette rétrospective, Olivier Saillard ne pouvait faire un meilleur choix pour rendre hommage à la mode. Avec les incroyables créations de M Alaïa, le Musée de la Mode nous rappelle que la mode est faite de coupes, d’exigence, de précision, d’excellence et de gestes qui font que la mode est à jamais intemporelle. Tout le reste n’est que superflu….
Palais Galliéra, musée de la Mode de la Ville de Paris,
10 av. Pierre 1er de Serbie, 75116 Paris
Marie-Odile Radom
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