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Sabine Pigalle 19 – After Jan van Eyck
1 avril 2013
Marie-Odile Radom
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Elle m’est apparue là sur la vitre de la fenêtre, ainsi, semblable au temps jadis. Mains couleur rose pâle, très pâle, presque cadavérique mais si naturel, qui a bien pu faire ce chef d’œuvre ? Il y en a d’autres, plus petits, en série, des portraits, des femmes surtout, de la génération des anciens, je vous le dis, je donnerai beaucoup pour avoir peint ainsi. Couvertes de superbes atours, couleurs délicieuses, d’argent et d’or, scintillants et toutes se présentent devant nous, prêtes à nous montrer d’autres richesses. C’est l’espace entier, ici, au Deux Magots, qui s’enrichit, on ait saisit d’admiration. Irréprochable pourrais-je dire, l’artiste est maître, du moins dans un premier temps, car c’est celui de l’impression, mais ensuite c’est tout autre chose, c’est comment dire, falsificateur, oui falsificateur. Il faut voir le dessous, derrière la manigance, une très subtile manipulation de l’image, on essaye de nous faire croire tout autre chose ! Sabine Pigalle transforme, assemble, jette, c’est une affaire contemporaine, surtout numérique, comme cela c’est plus simple et surtout plus rapide. Ce sont des portraits de Léonard, de Cranach, de Van Eyck, détournés, on leur a enlevé leur principale gloire, leur âme, leur visage, remplacés par d’autres visages, des visages d’aujourd’hui, qui leur sont bien inférieurs d’ailleurs, c’est ça l’illusion ! Rappelez-vous ces toiles que la vieillesse accable et qui nous montre avec ses fêlures toute l’adresse d’un artiste qui dépose avec soin une pâte épaisse dont il égalera la substance pour faire croire à l’œil qu’elle est la chair véritable ou le lin d’une noble étoffe. Il tient fermement son pinceau, frotte la toile, revient et affine son mouvement, la lumière prend forme, il désire ardemment imiter la nature. Mais insatisfait, dépose une nouvelle couche, fronce les sourcils, repère la maladresse et reprend péniblement le trait, c’est là qu’il constate que l’effet est seulement bon pour l’œil pas assez pour l’esprit. Il se dit que rien n’y ferait, l’œil est trop stupide pour voir la perfection, alors il pense à toutes les paroles de son maître, les règles, les devoirs, les conseils, l’anatomie, la philosophie, la littérature, la physique. La mémoire s’est afféré, il se souvient de cette règle, l’ombre des corps diaphanes et sphériques est plus obscure au sommet qu’en la partie concave, et d’avantage dans l’obscurité de l’ombre dérivée du corps sphérique.* Il se lève, plein de vigueur et de volonté, refait son mélange, moins de blanc cette fois-ci, un peu plus d’ocre, un léger plus pour adoucir la frontière lumineuse du front. Il fait glisser les poils, lie l’ombre et la lumière par un fondu plus juste, qui mène à penser que sous l’ombrage des cheveux il y a encore de la chair, mais pas seulement, on peut réellement la distinguer par transparence de l’ocre. C’est formidable cette compréhension, on peut même souligner les veines, les os, on peut aussi nourrir en éclat le fond de l’œil. Ainsi, il lui prend l’envie de surpasser en beauté l’œuvre de ses prédécesseurs, c’est là une admirable volonté lui dit-on, piètre disciple, qui ne surpasse pas son maître.* se rappelle-t-il. Voilà comment il faut grandir, Michel Ange, Raphaël et les autres nous ont ouverts la voie et pourtant aujourd’hui, encore, ils nous devancent. N’a-t-on rien retenu du passé, n’aurait pu t’on lui donner plus de considération au lieu de dépenser leur travail à la manière contemporaine? Cette opinion peut encore être fortifiée, outre qu’elle trouvera racine en l’action d’Andy Warhol, et qui expliquera bien des choses sur la dégradation de l’image par la technique, parce que rien chez nos artistes, à part quelques rares exemples, pourrait nous rendre fier de voir une nouvelle fois s’élever la grâce et le talent, le génie en somme ! Ainsi l’art, comme je l’ai signalé ci-dessus, était plein de cette force créatrice, possédant en lui la capacité de se renouveler sans se rendre ridicule ou même anecdotique, formulant en consistance toute la richesse humaine, et puis, oui, tout cela fut brisé, nettoyé, ne restant que de lui le seul mérite dû à son âge. Aujourd’hui, les artistes, purgés de cette histoire, réduisent ce patrimoine à une affaire du passé, en petit nombre, placardent en grandes affiches leurs œuvres, le tout étant de faire croire qu’ils sont tout autant talentueux que leurs ancêtres. Regardez attentivement leurs travaux, on n’y voit pas grand-chose de la mémoire de l’antiquité, des poèmes en prose de Dante ou de Baudelaire ou de la virtuosité d’un Gustav Mahler. Tout cela a lieu sans que l’on puisse y faire grand-chose, le tout étant de nous faire oublier les évènements du passé. Cette constatation est frappante, l’art a bien aboli des règles et des conventions et croit pouvoir jouir éternellement des acquis du passé. L’on pourrait féliciter Sabine Pigalle pour la réussite visuelle de son travail, mais la compréhension de celui-ci ne pourra manquer de souligner la tricherie qui s’est opérée, à savoir usé d’œuvres majeurs en tronquant l’essentiel de leurs caractères. Et quoique cette artiste n’en reste pas moins adroite avec l’outil informatique on lui rétorquera qu’aujourd’hui les grands studios d’animation font de même pour amuser les spectateurs. Cette fausse interprétation de l’art, qui corrompe bien souvent le regard et l’esprit, reste aujourd’hui dominante dans le monde, il est intéressant ensuite de voir qu’il ne reste plus de talents capables d’engendrer des œuvres rivales de celles de Raphael, Botticelli ou encore David.