Le Crazy Horse Images, Corps et Mots
« Cela fait désormais plus de vingt ans que mon objectif capte les dessous de ces « apprêts de désir » et jamais je ne pénètre dans les loges des danseuses sans cette petite appréhension, cette légère fébrilité qui, au moment d’appuyer sur le déclencheur, me transporte dans un univers fait de confidences et d’épidermes. » Antoine Poupel
Le Crazy Horse ! Jamais nom de cabaret n’a autant fait rêvé à sa seule évocation ! Cabaret mythique par excellence où les corps habillés de lumière transportent dans un univers sensuel à l’ambiance feutrée, le lieu fascine depuis sa création en 1951.
Six décennies de shows millimétrés, de femmes au corps parfait, au galbe envoûtant et d’égéries prestigieuses (Dita Von Teese, Arielle Dombasle) ont fait du Crazy Horse le temple de la féminité célébrant avec une exquise élégance la nudité des corps. Les jeux d’ombres et de lumières se mêlent aux chorégraphies laissant une grande place à la suggestion et à l’imaginaire.
Dans le cadre du Festival Photo de Saint Germain des Près 2011, Juliette Aittouares-Caillon présente dans sa galerie de mobilier vintage Espace 54, jusqu’au 30 novembre 2011, un parcours d’une trentaine de photos d’Antoine Poupel, vision intime et confidentielle du célèbre cabaret parisien légendées par Gilbert Lascault.
Ces clichés, extrait du livre Crazy Inside qui paraît à l’occasion des 60 ans du Crazy Horse, se mêlent tout naturellement au mobilier design, rendant l’expérience plus intime encore, presque charnelle, tant les courbes des meubles semblent renvoyer à celles des corps. Ainsi la volupté d’un fauteuil Cherner ou une chaise Panton s’offre alors aux cambrures du Crazy Horse et les faisceaux d’une lampe arc Castiglioni viennent sublimer les tirages du photographe.
L’objectif d’Antoine Poupel dévoile avec beaucoup de délicatesse les coulisses de ce « dispositif du désir », traversé de formes et de lumières qui permettent au photographe de capter l’essence du célèbre cabaret. La féminité y est sublimée et la cambrure si parfaite de ces déesses est mise à l’honneur. On y découvre au détour d’une photo quelques objets personnels et surtout le fameux arbre à perruques si emblématique du Crazy Horse.
Le petit œil en retrait du photographe nous dévoile la vie intime du cabaret, offrant à notre regard curieux les répétitions, les étirements, dévoilant quelques moments de quiétude dans un petit salon dédié entre deux shows, laissant deviner sur les visages la fatigue laissée par des heures de travail : « A travers mes photos, je voulais surtout montrer, qu’au-delà d’être sublimes, toutes ces filles travaillent beaucoup et que l’exigence fait partie de leur quotidien. » Corsets et lacets nous fascinent.
Le vernissage de cette exposition exceptionnelle a été l’occasion de rencontrer Antoine Poupel et Gilbert Lascault qui se sont tout naturellement confiés à nous et nous ont transportés, l’espace de quelques instants dans les coulisses de ce cabinet mythique, nous racontant anecdotes et petits secrets sur ces clichés uniques racontant chacun une histoire.
Antoine Poupel est un photographe-plasticien né en 1956 au Havre. Son travail artistique d’avant-garde, questionnant les limites picturales et chimiques de la photographie l’a fait connaître dans le monde et lui a ouvert les portes des institutions photographiques les plus prestigieuses ainsi que celle du cabaret Crazy Horse et du théâtre équestre Zingaro créé par Bartabas.
Alternant des photographies de spectacles et de loges, mêlant noir et blanc et couleurs, le livre et par extension cette exposition est également le fruit « d’une histoire d’amour avec le Crazy Horse, qui a commencé lors d’une séance photo avec Antoine Bernardin » précise Antoine Poupel. Fermé par un aimant, l’ouvrage très esthétique s’ouvre comme on déshabille une femme, avec délicatesse.
La rencontre avec Alain Bernardin remonte à une vingtaine d’années au début des années 90. Par hasard, Antoine Poupel rencontre le célèbre fondateur directeur du Crazy Horse. A cette époque, le photographe réalisait une série de portraits de personnalités connues et inconnues où chacune choisissait le lieu de la prise de vue et des éléments emblématiques en rapport avec leur personnalité.
Alain Bernardin a participé à l’aventure et a choisi d’être photographié au musée du Louvre, devant un sarcophage égyptien, dans et sur lequel est gravée une femme nue avec des étoiles. Ils créent des liens amicaux et c’est tout naturellement qu’Alain Bernardin le désigne comme photographe officiel du cabaret parisien.
Fidèle au mythique cabaret parisien depuis maintenant plus de vingt ans, Antoine Poupel a su créer des liens d’intimité tels que l’accès aux loges lui a été ouvert. Et cette confiance que lui ont accordée les danseuses transparaît dans les photos, une confiance acquise au fil du temps sans jamais rien demander.
« Accéder aux coulisses est un privilège qui m’a donné la possibilité de créer une histoire avec les filles, basée sur la confiance. J’ai réussi à me faire oublier pour capter leur intimité sans artifices » raconte en toute humilité le photographe.
Les corps magnifiés s’offrent ainsi au regard d’Antoine Poupel qui assiste, chaque jour, à une mise en abîme des danseuses, à cette approche du bord du gouffre qui domine à la fin d’une représentation. Et il assiste à leur renaissance chaque jour, se relançant sans cesse.
Fasciné par le mouvement qui se révèle assez difficile à capter, le photographe le retranscrit assez fidèlement comme pour cette danseuse assise sur une chaise relèvant la tête ses cheveux formant un tourbillon. Il se laisse porter par les mouvements et ensuite choisit la prise qu’il préfère.
L’histoire du Crazy narrée en photo trouve un écho incroyable dans les textes de Gilbert Lascault reflétant à merveille l’imaginaire d’Antoine Poupel qu’il connait depuis trente ans, sans pourtant nous imposer une lecture de ces clichés. La littérature commente la surface sensible de la photographie qui devient ainsi une véritable écriture de lumière.
Né en 1934 à Strasbourg, Gilbert Lascault est écrivain, critique d’art, professeur émérite de philosophie de l’art à l’Université Panthéon-Sorbonne. Son oeuvre comporte des ouvrages d’esthétique, des monographies, des livres de fiction, il a écrit sur des photographes, des peintres, des sculpteurs…
Pour l’écrivain, une image est toujours une façon de raconter une histoire, une sorte de conte. Il prend plaisir à rencontrer l’image, à inventer une histoire, une poésie ultime derrière chaque mot. Les mots naissent d’abord dans sa tête avant d’être couchés sur le papier pour y puiser leur force. Et sa force est de nous conter une histoire sans pour autant vampiriser l’image. Nous sommes donc libres d’écouter son histoire et d’inventer la notre.
Et lorsqu’il parle d’une photo mettant en scène 6 danseuses dont les jambes se croisent, il nous emmène dans un autre univers. Hommage aux codes emblématiques du Crazy, cambrure, talons et graphisme se retrouvent dans une photo sensuelle et forte où la lettre X se détache peu à peu.
Pour Gilbert Lascault, le X est d’abord un signe de multiplication mais également le fait de raturer, de biffer et de couper. C’est aussi la fameuse lettre symbolisant l’inconnu. Ce cliché devient alors un algèbre de l’amour, l’algèbre de l’Éros sous la plume de l’écrivain.
A travers cette exposition, Juliette Aittouares-Caillon nous emmène à la rencontre de deux artistes d’exception qui nous transportent dans un des lieux les plus mythiques de Paris : le Crazy Horse. Magie des instants volés que nous découvrons au milieu d’un mobilier vintage, poésie des mots et douceur du lieu nous entraînent dans le plus beau des voyages, celui du rêve, de la sensualité de la volupté.
Mais au delà du rêve apparaît la danseuse qui telle une sportive se dépense sans compter allant jusqu’au bout d’elle-même pour nous en offrir la meilleure part. Cet envers du décor vaut la peine d’être vu et à travers l’objectif d’Antoine Poupel, il est aussi magique que le spectacle.
Crédit photo : Copyright Antoine Poupel
Crazy Inside
Photos d’Antoine Poupel. Textes de Corinne Decottignies
Editions du Chêne
224 pages
Prix : 35 €
Espaces 54
54, rue Mazarine 75006 Paris
www.espaces54.com
Marie-Odile Radom
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